L'Express (France)

Amérique latine Mais qui gouverne vraiment à Cuba ?

Depuis le VIIIe congrès du Parti communiste cubain, le mois dernier, aucun Castro ne figure parmi les instances dirigeante­s de l’île. Une première depuis 1959.

- PAR AXEL GYLDÉN

Qui se souvient d’Osvaldo Dorticos ? Pas grand monde… Tombé aux oubliettes de l’Histoire, cet intellectu­el discret fut pourtant le président de la République cubaine de 1959 à 1976, alors que Fidel Castro n’était « que » Premier ministre. Lointain successeur de Dorticos, Miguel Diaz-Canel, 61 ans, est, lui, devenu chef de l’Etat en 2019, succédant à Raul Castro. Le mois dernier, il a également remplacé ce dernier à la tête du Politburo, en qualité de Premier secrétaire du bureau politique du Parti communiste cubain, lors du VIIIe Congrès, à La Havane.

Cependant, la meilleure façon de savoir où se situe le pouvoir castriste n’a jamais été la consultati­on d’un organigram­me. « A Cuba, personne ne pense que Diaz-Canel est l’homme fort du pays », explique l’historienn­e Elizabeth Burgos, qui en veut pour preuve la liberté prise par les militants du mouvement San Isidro – issu du monde culturel –, qui scandent régulièrem­ent en pleine rue : « DiazCanel, singao ! », ce qui signifie à peu près « enc… ». S’il est l’héritier officiel de Raul, qui aura 90 ans le 3 juin, l’apparatchi­k Diaz-Canel ne parvient toutefois pas à incarner la succession des historicos, ces guérillero­s nonagénair­es qui ont quitté leurs fonctions lors du VIIIe congrès.

Parmi les 14 membres du bureau politique se détache la figure du général Alvaro Lopez Miera, un « jeune homme » de 77 ans. Promu ministre des Forces armées cubaines le mois dernier, ce vétéran de la guerre d’Angola pendant la période 19751991 jouit du prestige de l’uniforme – à la différence de Diaz-Canel, venant du monde civil. Surtout, il bénéficie du lien filial qui l’unit au plus jeune des frères Castro. « C’est presque son second fils », décrypte Brian Latell, ex-analyste de la CIA et auteur d’une biographie de référence consacrée à Raul Castro. « A l’âge de 14 ans, raconte-t-il, le jeune Alvaro a rejoint la guérilla dans la Sierra Cristal, où Raul commandait les opérations. “Tu es trop jeune pour prendre les armes, mais, si tu veux, reste avec nous : tu alphabétis­eras les paysans”, lui avait dit le frère de Fidel qui, dès lors, le prit sous son aile. »

« Extrêmemen­t respecté par les militaires, mais dépourvu d’ambition politique, Lopez Miera est l’un des rares dirigeants prêts à écouter ceux qui ne partagent pas son point de vue », ajoute, à Miami, l’exilé Juan Juan Almeida, journalist­e expert de la nomenklatu­ra cubaine, à laquelle appartenai­t son père, feu Juan Almeida, un guérillero « historique ». « Enclin à reconnaîtr­e que des changement­s sont nécessaire­s, il est cependant trop âgé pour incarner l’avenir de l’île », poursuit-il.

Les regards se portent donc vers un troisième homme : Luis Alberto Rodriguez Lopez-Calleja, dont la nomination au Politburo n’est pas passée inaperçue. Lui aussi général, mais sans être ancien combattant, ce fils d’une statistici­enne proche de Fidel n’est autre que l’ex-gendre de Raul Castro. Surtout, il dirige depuis des années la firme Grupo de Administra­cion de Empresaria­l S.A. (GAESA), qui contrôle la quasi-totalité de l’économie : tourisme, hôtellerie, location de voitures, bâtiment, travaux publics, supermarch­és, gestion des ports, bureaux de change, etc.

« Intelligen­t, charismati­que, séducteur, macho, fourbe et habile à corrompre les autres, Luis Alberto possède de nombreuses qualités susceptibl­es de plaire à Cuba », reprend Juan Juan Almeida. Son point faible ? Il collection­ne les ennemis, jusque dans la famille Castro, à commencer par Alejandro, qui dirige les services secrets (même si certains affirment qu’il a été « placardisé »). Le fils de Raul reproche à Rodriguez Lopez-Calleja d’avoir multiplié les violences domestique­s lorsqu’il était marié à sa soeur Deborah Castro. Un point de vue partagé par Teresa Amarelle Boué, qui dirige la puissante Fédération des femmes cubaines. Mais Luis Alberto, qui vise le sommet du pouvoir, tient un joker dans son jeu : il gère la fortune personnell­e de la famille Castro. Et, à 61 ans seulement, il conserve un autre avantage : le temps joue pour lui.✷

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