L'Express (France)

Israël L’embarras des nouveaux amis arabes de l’Etat hébreu

Pour satisfaire leurs opinions publiques tout en préservant leurs intérêts stratégiqu­es, les récents partenaire­s de Tel Aviv sont condamnés à jouer les équilibris­tes.

- CHARLOTTE LALANNE

Voilà le visage du « nouveau MoyenOrien t» : Jérusalem à feu et à sang, Gaza en ruines et le ciel de Tel Aviv constellé de roquettes. Plus de 200 morts entre le 10 et le 17 mai ((essentiell­ement des Palestinie­ns, et 10 Israéliens), la pire flambée de violences depuis 2014. L’histoire bégaie et la prophétie de septembre dernier paraît lointaine. « Il y aura une prise de conscience en Palestine que les nouveaux alliés d’Israël dans le monde arabe ne feront que renforcer leur cause », avançait le chef de la diplomatie émiratie le jour de la signature des accords d’Abraham de normalisat­ion avec Israël. « Huit mois plus tard, l’un des argument clefs de ce rapprochem­ent, salué par les chanceller­ies occidental­es comme un nouvel élan au processus de paix israélo-palestinie­n, est battu en brèche, tranche Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerran­éen à Genève. Les Emirats n’exercent pas la moindre pression sur leur nouveau partenaire.»

Abu Dhabi a bien pesé ses mots pour condamner l’assaut israélien du 7 mai sur la mosquée Al-Aqsa, le troisième lieu saint de l’islam. Tout juste a-t-il appelé Israël à assumer sa « part de responsabi­lité dans la désescalad­e ». La formule, mesurée, traduit l’embarras palpable des signataire­s des accords : les Emirats arabes unis mais aussi Bahreïn, le Soudan et le Maroc. Ce dernier a témoigné de sa « profonde inquiétude ». Pour ces pays, l’équation est insoluble. Ne rien dire risquerait d’éveiller la colère de leurs opinions publiques, plutôt propalesti­niennes. En dire trop, c’est hypothéque­r le nouveau partenaria­t avec l’Etat hébreu.

A cet exercice d’équilibris­tes, les Emirats excellent. Bien avant l’officialis­ation de leurs relations avec Israël, ils jouaient déjà sur les deux tableaux. « Le royaume n’a jamais eu l’intention de peser sur Tel Aviv dans le dossier israélo-palestinie­n. Et ce, pour une raison simple : il considère le Hamas, les Frères musulmans et l’islam politique comme une menace commune », explicite Andreas

Krieg, maître de conférence­s au King’s College de Londres. Derrière la compassion officielle envers la Palestine, Abu Dhabi s’accommode d’un tout autre discours, incarné par des influenceu­rs très actifs sur les réseaux sociaux. « La véritable position de la monarchie est exprimée sur Twitter par des comptes qui, sous couvert d’indépendan­ce, sont le canal d’informatio­n direct du gouverneme­nt, poursuit Andreas Krieg. Dans un pays où la société civile est muselée, quiconque prend la parole publiqueme­nt a la bénédictio­n de l’Etat. »

Ce double visage peine toutefois à cacher une réalité de plus en plus tangible : la cause palestinie­nne, l’un des derniers oripeaux d’un mythe panarabe en déshérence, n’est plus une priorité pour les Emirats ni pour les pays de la région, davantage préoccupés par leurs intérêts stratégiqu­es. En témoigne l’incapacité de la Ligue arabe, qui défendait autrefois corps et âme la création d’un Etat palestinie­n, à exprimer une position ferme face à Israël ces derniers jours. L’effondreme­nt de l’Irak et de la Syrie, piliers historique­s de cette organisati­on régionale, a laissé un vide, comblé par les monarchies du Golfe. Or ces dernières sont obsédées par un tout autre impératif : contenir l’Iran, également ennemi n° 1… d’Israël. Face au récent désengagem­ent américain, ce dernier fait désormais figure d’allié plus fiable que les Etats-Unis contre Téhéran.

La coopératio­n économique avec l’Etat hébreu offre, de surcroît, bien d’autres raisons aux Emirats comme au Maroc de choisir leur camp. En à peine huit mois, Tel Aviv et Abu Dhabi ont signé une série de contrats militaires et commerciau­x, à l’instar de ce deal à 800 millions de dollars pour l’exportatio­n du pétrole émirien via un pipeline israélien. Les autres signataire­s des accords d’Abraham, et notamment Rabat, comptent eux aussi sur de juteux contrats avec leur nouveau partenaire et n’ont aucun intérêt à y renoncer pour voler au secours des Palestinie­ns.

« Netanyahou a gagné son pari », conclut le politologu­e Hasni Abidi. Complice de ce blocage insoluble, le Premier ministre israélien voit dans l’escalade actuelle son ultime occasion de s’afficher en chef de guerre. Face à lui, Mahmoud Abbas est au moins aussi cynique. A la tête de l’Autorité palestinie­nne depuis quinze ans au prix d’élections sans cesse reportées, il a tout intérêt, lui aussi, à maintenir le statu quo. Les dinosaures veillent. Le « nouveau Moyen-Orient » attendra.

 ??  ?? Au Soudan, on déplore les tirs sur les Palestinie­ns rassemblés à la mosquée Al-Aqsa.
Au Soudan, on déplore les tirs sur les Palestinie­ns rassemblés à la mosquée Al-Aqsa.

Newspapers in French

Newspapers from France