Horizons africains Grâce aux satellites, les paysans maliens prennent de l’assurance
A l’aide de données satellitaires et du paiement par téléphone portable, une start-up assure les agriculteurs. Une innovation prometteuse pour le continent.
Deux hectares pour moi ! », « un hectare ici ! », « trois hectares là ! » Dans la mairie de Kalifabougou, à deux heures de la capitale Bamako, une quinzaine de petits producteurs de maïs font entendre leurs voix. Tous ont décidé d’assurer une partie de leurs champs. Et Adama Kouyaté a le sourire : durant deux heures, ce directeur commercial de la jeune société OKO leur a vanté, en langue bambara, les mérites de la microassurance.
« Au début, la méfiance est forte chez ces Maliens. Pour la plupart illettrés, ils n’ont jamais entendu parler d’assurance et ils ont peur de se faire arnaquer », explique le trentenaire peu après la réunion tandis que, dehors, une chaleur sèche de 40 °C enveloppe la commune. « Convaincre, c’est le plus difficile, mais c’est le nerf de la guerre. Et c’est en train de prendre… » Fondée en 2018, la startup israélienne OKO compte aujourd’hui 13 500 clients au Mali, soit environ 7 fois plus qu’en 2020.
Garantir la stabilité des revenus constitue un enjeu politique important
Nouveau souscripteur, Kassim Koné, 42 ans, nous emmène jusqu’à son champ, où la terre n’a pas encore été ensemencée. « L’an dernier, j’ai été inondé à trois reprises, sans compter la période de sécheresse », déplore ce chef de famille en levant les yeux au ciel. « Ma récolte a été divisée par 3… » Cette saison, il a assuré 2 des 9 hectares qu’il cultive. « L’an prochain, je le ferai pour la totalité, si tout fonctionne bien. »
Une petite révolution est en cours au Mali (20 millions d’âmes), où 4 habitants sur 5 vivent de l’agriculture. Comme ailleurs en Afrique, une nouvelle forme d’assurance agricole, appelée indicielle ou paramétrique, prend son essor. Le principe est simple : contrairement à une assurance classique, aucun expert n’est envoyé sur le terrain pour constater les sinistres. « Nous nous appuyons sur des données satellitaires de pluviométrie pour calculer les seuils de déclenchement des indemnisations », détaille la directrice des opérations au Mali, Mariam Doumbia. « S’il pleut trop (inondations) ou pas assez (sécheresse) durant la saison, une compensation est versée après la récolte. »
L’automatisationdelaprocédurepermet de réduire le coût de cette assurance, ce qui la rend accessible aux pays les plus pauvres. A chaque village correspond un montant précis, calculé en fonction de son historique des précipitations depuis trente ans, et des rendements habituels. C’est, par exemple, 7 631 francs CFA [11,63 euros] l’hectare de maïs pour Kalifabougou, mais 6 856 francs CFA [10,41 euros] pour un village voisin. Payable en plusieurs fois si besoin.
« Voilà quelques années, nous ne pouvions pas proposer ce type de contrat, explique Raphaël Haziza, cofondateur d’OKO et directeur de la conception des produits. La résolution des satellites était trop faible et aucun algorithme n’était assez puissant pour mouliner toutes ces données. » Aujourd’hui, grâce à un outil mis gratuitement à disposition par l’université de Reading, en Angleterre, OKO peut connaître le volume des pluies sur des zones de 16 kilomètres carrés – sachant que chaque village s’étend en moyenne sur quatre zones. Le montant de la compensation est proportionnel au niveau de déficit ou d’excès d’eau : il peut atteindre plus de 100 000 francs CFA [152 euros] pour un hectare de maïs.
Cette année, OKO a élargi son service aux cultures de sorgho, de sésame, de riz et de coton. Cependant, le mécanisme ne fonctionne pas toujours à la perfection. « Dans 30 % des cas, nous indemnisons alors que nous n’aurions pas dû, ou l’inverse », reconnaît Raphaël Haziza. « Mais cela va s’affiner. D’ici à deux ans, nous pourrons observer la situation à l’échelle de chaque maison », anticipetil.
A Touréla, un village situé au sud de Bamako, une quarantaine d’habitants – les femmes d’un côté, les hommes de l’autre – sont réunis près de la mosquée, à l’ombre d’un manguier pour discuter de la nouvelle assurance agricole. Longue tunique dorée et barbe blanche, Lassana Djo se lève. « Ça a été très utile pour moi, déclaretil. L’an passé, à cause des trop nombreuses pluies, je n’ai récolté que 1,5 tonne de maïs au lieu de 3. Mais j’ai reçu 90 000 francs [137 euros] pour les deux hectares que j’avais assurés, de quoi acheter plusieurs sacs de riz et de mil. » Des applaudissements fusent. « Tout s’est fait avec mon téléphone », précise l’orateur de 70 ans, en montrant son Nokia aux fonctions rudimentaires.
De l’inscription au dédommagement, en passant par l’envoi régulier de conseils pour mieux cultiver, les échanges se font
surtout par SMS. Et pour le paiement de l’indemnisation, pas besoin d’avoir de compte bancaire. L’argent est transféré sur le compte de l’opérateur mobile du bénéficiaire. Il lui suffit, ensuite, d’aller chercher la somme dans le point de retrait Orange Money du village. Un service très répandu en Afrique, où la population est faiblement bancarisée et où l’accès à l’Internet mobile est rare.
« Le bouche-à-oreille va fonctionner à plein, un nombre croissant de paysans vont opter pour l’assurance indicielle », estime Fagaye Sissoko, agroéconomiste à l’Institut d’économie rurale de Bamako. D’autant que le changement climatique aggrave les incertitudes des cultivateurs. « Habituellement, les premières pluies arrivent en mai dans la région de Bamako, mais ces derniers temps, elles ne tombent parfois qu’en juillet », observe le chercheur vêtu d’un boubou bleu indigo.
Garantir la stabilité des revenus des paysans constitue un enjeu politique important. Suivant l’exemple de son voisin sénégalais, l’Etat malien envisage de développer une assurance agricole nationale. « Je veux enfin mener ce vieux projet à bon port, lance Allaye Karembe, chef de division des assurances, depuis son bureau de l’immeuble fatigué du Trésor, à Bamako. Il est anormal que, dans un pays majoritairement agro-pastoral comme le nôtre, cette protection soit laissée au secteur privé », regrettet-il. A la tête d’un comité de pilotage, il promet une assurance d’ici à 2022, qui couvrira à terme tous les risques, des intempéries aux maladies, aussi bien pour les cultures que le bétail. Sans savoir encore s’il choisira les services d’un expert ou ceux d’un satellite pour identifier les éventuels dégâts. « L’enjeu est aussi électoral, car le monde rural représente un immense réservoir de voix », ajoute un connaisseur du dossier, qui doute cependant de la capacité gouvernementale à boucler un tel projet, alors que le pays est dirigé par une autorité de la transition, depuis le coup d’Etat contre l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta, alias « IBK », en août dernier.
De Tel-Aviv, Simon Schwall, directeur général et cofondateur d’OKO, croit, lui, au modèle du privé. « Nous prouvons que les agriculteurs sont capables de payer une assurance qui n’est pas subventionnée », note ce Franco-Luxembourgeois diplômé d’HEC. A la fin d’avril, sa start-up a levé 1 million d’euros. L’optimisme est de mise, même si la société ne prévoit pas d’être rentable avant 2023. L’an dernier, elle a récolté 10 millions de francs CFA de prime [environ 15 000 euros], mais les indemnisations versées aux paysans se sont élevées à 47 millions [environ 72000 euros].
Pour remporter son pari, l’entreprise doit élargir sa base de souscripteurs. Déjà, elle s’appuie sur des coopératives locales de producteurs. Bientôt, elle pourrait compter sur des ONG internationales afin de proposer son produit dans le centre du Mali. Un endroit difficile d’accès, en raison de l’insécurité liée à la présence de djihadistes. Par ailleurs, l’offre de la start-up s’enrichit progressivement. Un partenariat avec une société de microfinance a été signé. L’assurance OKO sert de garantie aux paysans pour souscrire un microcrédit de quelques centaines d’euros.
A Kalifabougou, Sanoussi Traoré, qui cultive 3 hectares de maïs, se réjouit de cette possibilité. « Mais j’ai surtout besoin que l’on me fournisse des semences et de l’engrais de qualité, précise-t-il. C’est crucial pour accroître mes rendements. » Au Mali, la jeune pousse MyAgro facilite l’achat de ces intrants grâce au paiement via le téléphone portable. Et c’est en s’associant avec cette société riche de 54 000 clients que la société kényane Pula, un autre spécialiste de l’assurance indicielle climatique, a mis un pied sur le marché malien. Déjà présent dans 10 pays africains, principalement anglophones, Pula, qui a été créée en 2015, poursuit son avancée sur le continent. « Il y a de la place pour tout le monde, en particulier en Afrique de l’Ouest, encore très peu couverte », estime Simon Schwall. D’ailleurs, OKO, qui opère aussi en Ouganda, prévoit de se lancer en Côte d’Ivoire et au Ghana dès l’année prochaine.
Ce premier article de notre série mensuelle
Horizons africains fait partie d’un projet bimédia financé par le Centre européen de journalisme, via le programme European Development Journalism Grants. Ce fonds est soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates.