« Dis-moi comment tu votes, je te dirai qui tu es... »
CLIVAGES POLITIQUES ET INÉGALITÉS SOCIALES SOUS LA DIRECTION D’AMORY GETHIN, CLARA MARTINEZ-TOLEDANO ET THOMAS PIKETTY. HAUTES ÉTUDES EHESS/GALLIMARD/ SEUIL, 519 P, 25 €.
Cette somme est la concrétisation d’un chantier colossal : rien de moins que l’exploitation des enquêtes menées après chaque grande élection depuis 1948 dans une cinquantaine de pays par une vingtaine de chercheurs. L’objectif ? Réaliser une véritable cartographie mondiale et historique des motivations de vote.
Le choix des électeurs est-il déterminé par leur appartenance à une classe sociale, privilégiée ou défavorisée ? Par leur origine ethnique ? Par leur religion ? Par leur âge ? Par leur sexe ? Pourquoi dans tant de démocraties, alors que les inégalités socio-économiques se creusaient, les débats ont-ils surtout porté sur l’immigration, l’identité nationale ou l’intégration ?
Bien sûr, la réalité est complexe et variable selon les époques. Néanmoins, ce travail de fourmi met en évidence de puissants mouvements tectoniques. Aux EtatsUnis comme en Europe, le vote ethnique pèse de plus en plus lourd dans les choix des électeurs, alors que le vote de classe compte de moins en moins. Entre 1950 et 1980, le Parti démocrate rassemblait pourtant les votes des classes populaires, indépendamment de leur identité raciale.
Mais, depuis les années 2000, ce sont les minorités noire et latino-américaine qui donnent leurs voix aux démocrates, alors que les classes populaires blanches se sont nettement orientées vers les républicains. Et au sommet de la pyramide sociale, les groupes les plus diplômés votent pour les premiers, tandis que les plus riches continuent de soutenir les seconds… Quant aux femmes, leur vote a spectaculairement basculé du camp conservateur et religieux vers celui des « sociaux-démocrates écolos ». L’Europe suit ces mêmes tendances.
Le reste du monde, en revanche, prend le chemin inverse. En Amérique latine, en Afrique et surtout en Asie, l’influence de l’appartenance à telle ou telle classe sociale se renforce, tandis que le vote ethnique perd du terrain. Le renversement de perspective est total, et permet de résoudre bien des énigmes posées par les succès de Donald Trump aux Etats-Unis, de Jair Bolsonaro au Brésil, ou de Narendra Modi en Inde.
Un livre, sinon le livre incontournable, pour comprendre les enjeux et les dangers de l’année électorale qui s’annonce en France.