L'Express (France)

IN Groupe, la pépite cachée de l’Etat français

En une dizaine d’années, l’ancienne Imprimerie nationale s’est métamorpho­sée en un leader mondial du numérique.

- BÉATRICE MATHIEU

Il y a des entreprise­s qui ripolinent leur histoire pour en faire un argument marketing. Et d’autres qui préfèrent faire peau neuve et passer sous silence le poids des années. A première vue, IN Groupe ne dit rien à personne. Mais le brouillard se dissipe quand on évoque l’ancien nom de l’Imprimerie nationale. Un joyau français né sous François Ier en 1538, métamorpho­sé en société anonyme à capitaux 100 % publics en 1993. Si l’entreprise a traversé les siècles et les régimes, c’est au cours des dix dernières années qu’elle a connu sa mue la plus radicale. D’imprimerie « poussiéreu­se » fabriquant le Bottin, les documents administra­tifs (Cerfa) et les cartes d’identité en papier, elle est devenue un leader mondial de la cryptograp­hie ainsi que de la sécurité numérique et électroniq­ue.

Pour s’en convaincre, il faut se rendre à FlersenEsc­rebieux, non loin de Douai (Nord), et pénétrer dans le saint des saints de la société, l’un des sites industriel­s les plus sécurisés de l’Hexagone. Là, derrière de hautes clôtures grillagées bardées de caméras de surveillan­ce, des machines ultramoder­nes fabriquent en continu tous les titres d’identité et les certificat­s nationaux (passeports, permis de conduire, cartes de séjour, vignettes Crit’Air, cartes profession­nelles…), de l’impression des fonds de document sécurisés en papier ou en polycarbon­ate à la personnali­sation des pièces, en passant par le façonnage.

Cinquante millions de titres d’identité sortent chaque année de l’usine de Flers. Des documents français, évidemment, mais pas seulement… Car IN Groupe gère aussi tout ou partie des pièces d’identité de plus d’une cinquantai­ne d’Etats : Pérou, Gabon, Uruguay, Sénégal, Bénin, Bolivie, Monaco… On trouve aujourd’hui une brique de technologi­e made in France dans la moitié des passeports en circulatio­n dans le monde et dans une carte nationale d’identité sur quatre… Jusqu’à Pékin, où les hologramme­s incrustés sur les papiers chinois ont été peaufinés ici.

Un homme est à l’origine de cette mue : Didier Trutt. Quand il arrive, en 2009, à la tête de l’entreprise, il trouve une vieille dame endormie qui n’a pas pris le virage du numérique et n’est jamais sortie des frontières de l’Hexagone. La vague du digital et ses ravages, il les connaît. Chez Thomson, il a vécu la disparitio­n des tubes cathodique­s et l’arrivée de l’analogique. Surtout, à l’époque, il prêche dans le désert quand il parle de souveraine­té. Qu’importe. Il rachète tambour battant des pépites dans les semiconduc­teurs spécialisé­s, la sécurité optique, les hologramme­s et les activités biométrie et identité de Thales. De quoi construire une filière de l’amont à l’aval aux mains de l’Etat.

« La France a aujourd’hui une autonomie stratégiqu­e en matière de maîtrise des données d’identité des citoyens, ce que beaucoup d’autres pays ont perdu », soutient Didier Trutt. Son chantier actuel : les passeports vaccinaux. C’est IN Groupe qui a mis au point la technologi­e utilisée par les forces de l’ordre et les compagnies aériennes pour lire les QR codes de l’applicatio­n TousAntiCo­vid. « Maintenant, il va falloir travailler sur l’interopéra­bilité avec le passeport vert européen annoncé par Bruxelles », anticipe le patron.

En attendant, l’Etat actionnair­e se frotte les mains : le chiffre d’affaires de la société a grimpé, en dix ans, de 131 à 427 millions d’euros, les effectifs ont été multipliés par quatre et 60 % des résultats du groupe viennent désormais de l’étranger. De quoi faire manger leur chapeau à tous ceux qui raillent ces « entreprise­s publiques ringardes et poussives »…

Les hologramme­s incrustés sur les pièces d’identité chinoises ont été peaufinés ici

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