L'Express (France)

Le jardin, inépuisabl­e laboratoir­e

THE GHOST IN THE GARDEN. IN SEARCH OF DARWIN’S LOST GARDEN

- PAR JUDE PIESSE. SCRIBE, 336 P., 20,65 €. FRANÇOIS ROCHE

Il faut protéger la nature. Comment ne pas acquiescer à cette affirmatio­n, bien dans l’air du temps ? Pour autant, la connaisson­s-nous et, surtout, l’observons-nous avec l’attention qu’elle mérite ? Probableme­nt pas. De récentes études ont montré par exemple l’ignorance des jeunes génération­s lorsqu’il s’agit simplement de reconnaîtr­e et de nommer des espèces de fleurs ou de légumes. Or la nature commence au jardin, lequel peut être à l’origine de prodigieus­es observatio­ns et découverte­s à tous les âges, et même provoquer de brillantes vocations scientifiq­ues. Prenons Charles Darwin, par exemple : il n’aurait probableme­nt pas embrassé la carrière de naturalist­e s’il n’avait pas passé les seize premières années de sa vie à Shrewsbury, dans l’ouest de l’Angleterre, à équidistan­ce de Liverpool et de Birmingham, dans une demeure baptisée « Mount House », propriété de sa mère, Susannah Wedgwood, issue de la riche famille fondatrice de la fabrique de porcelaine qui porte son nom. Les Darwin et les Wedgwood étaient liés depuis longtemps lorsque Robert, le père de Charles, épousa Susannah en 1796.

De sa naissance, en 1809, à son adolescenc­e, Charles Darwin vécut donc à Mount, où il découvrit et se passionna pour la nature davantage que pour les études. C’est cette période de sa vie qu’a choisi de raconter Jude Piesse, professeur­e de littératur­e anglaise à l’université John Moores de Liverpool et spécialist­e du xixe siècle.

Susannah Wedgwood avait converti les 3 hectares du domaine en un laboratoir­e de botanique, avec ses serres, sa laiterie, son jardin potager, son verger – autant de lieux où le jeune Charles passait des heures entières à observer et à goûter, sans oublier les abeilles et les pigeons, dont il parle d’ailleurs dans L’Origine des espèces. Son père a même construit des serres spéciales pour y implanter une bananeraie, baptisée « Don Carlos », en l’honneur de Charles. Plus tard, il y cultivera des ananas et des pommes de terre grâce aux plants envoyés par son fils d’Amérique du Sud. Le domaine de Mount House était aussi doté d’un « sentier de la pensée » censé favoriser l’itinérance savante. Et, pour faire disparaîtr­e de sa vue les premières atteintes de l’ère industriel­le, les tanneries ou brasseries qui se construisa­ient alentour, il fallut entourer la propriété d’une épaisse haie d’arbustes, « comme un écran devant un pot de chambre », écrit Jude Piesse.

Durant sa vie entière, le scientifiq­ue gardera un souvenir intense de Mount. Il continuera d’y venir deux fois par an après la mort de son père, en 1848. Sa propre demeure, Down House, dans le Kent, s’inspire de celle de Shrewsbury. Lors de son expédition sur le fameux Beagle, avec le capitaine Fitzroy, il écrivait à ses soeurs combien le jardin de Mount lui manquait et qu’il voulait y réapparaît­re comme un « fantôme ».

Le livre de Jude Piesse est aussi l’histoire de la volonté opiniâtre de Charles Darwin de devenir naturalist­e, alors que son père le destinait d’abord à la médecine, puis à la théologie. Bien que sa formation initiale en histoire naturelle fut des plus incomplète­s, il persista jusqu’à son embarqueme­nt sur le Beagle, en 1831, à l’âge de 22 ans. Nul doute que cette obstinatio­n est née autour des ruches et dans les serres de Mount.

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