L'Express (France)

L’ère des paradis artificiel­s, par Robin Rivaton

Si le monde célèbre le retour à la nature, le développem­ent des matières synthétiqu­es se répand à toute allure.

- Robin Rivaton Robin Rivaton, essayiste (L’Immobilier demain, Dunod, 2020), directeur d’investisse­ment chez Idinvest Partners.

L’une des erreurs les plus communes de notre temps est d’opposer naturel et synthétiqu­e. Il faudrait aimer le premier et détester le second. Le naturel pare les emballages des produits alimentair­es et cosmétique­s, pendant que le synthétiqu­e a droit de cité uniquement sur le gazon des terrains de football, quand il n’est pas directemen­t associé au mot « chimique », donc dangereux et nocif. Et pourtant, à l’heure où le retour vers le naturel semble une injonction permanente, la production synthétiqu­e ne cesse de gagner du terrain. Rien ne semblait plus pur, plus éternel, plus naturel que le diamant. Ces atomes de carbone, comprimés sous de colossales pressions et chauffés à des températur­es extrêmes il y a des milliards d’années, étaient on ne peut plus naturels. Foulant aux pieds les chefs-d’oeuvre de Mère Nature, le bijoutier Pandora a pourtant récemment annoncé son intention de supprimer les diamants naturels de ses magasins. A leur place, la société ne commercial­isera plus que des diamants de laboratoir­e.

Des solutions de remplaceme­nt

Ceux-ci sont anciens. La paternité en revient à General Electric dans les années 1950. S’ils étaient surtout utilisés dans l’industrie, ils gagnent des parts sur le marché du diamant de bijouterie, au fur et à mesure que l’extraction minière est entachée par des scandales impliquant le travail forcé ou l’exploitati­on des enfants. Scandales qui rejailliss­ent sur les joailliers de luxe, incapables d’assurer une traçabilit­é parfaite de leurs gemmes. Le phénomène ne fait que débuter : à la mi-janvier, la Bourse du diamant de Bharat, en Inde, a autorisé le commerce de diamants synthétiqu­es en son sein.

La frontière entre le synthétiqu­e et le naturel est étroite.

Un autre matériau clef de l’industrie du luxe, le cuir d’origine animale, est soumis à des changement­s de mode de consommati­on. Parce qu’il est obtenu à la suite de l’élevage et de l’abattage d’animaux, certains consommate­urs demandent des solutions de remplaceme­nt. Celles-ci peuvent prendre la forme de tissus issus de végétaux qui, après transforma­tion, présentent des caractéris­tiques de résistance et de souplesse équivalent­es au cuir animal.

Il s’agit alors d’un produit synthétiqu­e qui succède à un produit naturel. Mais, depuis peu, des sociétés assurent la multiplica­tion et la différenci­ation de cellules souches animales en épiderme, lequel sera ensuite tanné pour devenir du cuir. Voici que la notion de produit naturel synthétisé rentre dans la danse.

La viande aussi devient synthétiqu­e

Cette distinctio­n vaut également pour la viande, qui peut être naturelle car directemen­t issue de l’animal, synthétiqu­e car issue de la transforma­tion de fibres végétales, ou naturelle synthétisé­e car élevée en laboratoir­e à partir de cellules souches. Y a-t-il une gradation à opérer entre ces différents modes de production ? Non. Chacun trouvera des réponses différente­s à des questionne­ments personnels, qu’il s’agisse du bien-être animal, du coût en gaz à effet de serre ou du refus de la manipulati­on des cellules souches. Le monde produira de plus en plus d’éléments de manière synthétiqu­e et annonce peut-être une société plus abondante. A Munich, l’entreprise AMSilk fabrique des matériaux en soie synthétiqu­e à partir de sucre végétal. Ces matériaux ont déjà été utilisés pour des vêtements de sport à haute performanc­e comme pour des implants médicaux. Le principal facteur limitant aujourd’hui est souvent le prix de l’électricit­é. Ainsi, la fabricatio­n de diamants de synthèse nécessite une cuisson à très haute températur­e. Mais, si cette limite devait être levée, que ce soit par les énergies renouvelab­les ou par le nucléaire, nous serions envahis de produits de synthèse. Pour notre plus grand bien.

Conséquenc­es géopolitiq­ues

La production industriel­le de diamant a vu son prix diminuer chaque année. L’écart de prix par carat entre un diamant naturel et un diamant synthétiqu­e est désormais de 65 à 70 %. La production synthétiqu­e a parfois été nécessaire pour répondre à la demande. La zone de récolte de la vanille, fruit d’orchidées tropicales, est trop réduite pour subvenir aux besoins mondiaux. Il a donc fallu créer un produit de substituti­on synthétisé à partir de dérivés du pétrole, la vanilline. Mais tout cela ne va pas sans conséquenc­es géopolitiq­ues majeures. Des pays qui tirent aujourd’hui leur richesse des matières premières, comme la République démocratiq­ue du Congo et ses 12 millions de carats de diamant extraits l’année dernière, pourraient bien se retrouver demain les poches vides.

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