L’ère des paradis artificiels, par Robin Rivaton
Si le monde célèbre le retour à la nature, le développement des matières synthétiques se répand à toute allure.
L’une des erreurs les plus communes de notre temps est d’opposer naturel et synthétique. Il faudrait aimer le premier et détester le second. Le naturel pare les emballages des produits alimentaires et cosmétiques, pendant que le synthétique a droit de cité uniquement sur le gazon des terrains de football, quand il n’est pas directement associé au mot « chimique », donc dangereux et nocif. Et pourtant, à l’heure où le retour vers le naturel semble une injonction permanente, la production synthétique ne cesse de gagner du terrain. Rien ne semblait plus pur, plus éternel, plus naturel que le diamant. Ces atomes de carbone, comprimés sous de colossales pressions et chauffés à des températures extrêmes il y a des milliards d’années, étaient on ne peut plus naturels. Foulant aux pieds les chefs-d’oeuvre de Mère Nature, le bijoutier Pandora a pourtant récemment annoncé son intention de supprimer les diamants naturels de ses magasins. A leur place, la société ne commercialisera plus que des diamants de laboratoire.
Des solutions de remplacement
Ceux-ci sont anciens. La paternité en revient à General Electric dans les années 1950. S’ils étaient surtout utilisés dans l’industrie, ils gagnent des parts sur le marché du diamant de bijouterie, au fur et à mesure que l’extraction minière est entachée par des scandales impliquant le travail forcé ou l’exploitation des enfants. Scandales qui rejaillissent sur les joailliers de luxe, incapables d’assurer une traçabilité parfaite de leurs gemmes. Le phénomène ne fait que débuter : à la mi-janvier, la Bourse du diamant de Bharat, en Inde, a autorisé le commerce de diamants synthétiques en son sein.
La frontière entre le synthétique et le naturel est étroite.
Un autre matériau clef de l’industrie du luxe, le cuir d’origine animale, est soumis à des changements de mode de consommation. Parce qu’il est obtenu à la suite de l’élevage et de l’abattage d’animaux, certains consommateurs demandent des solutions de remplacement. Celles-ci peuvent prendre la forme de tissus issus de végétaux qui, après transformation, présentent des caractéristiques de résistance et de souplesse équivalentes au cuir animal.
Il s’agit alors d’un produit synthétique qui succède à un produit naturel. Mais, depuis peu, des sociétés assurent la multiplication et la différenciation de cellules souches animales en épiderme, lequel sera ensuite tanné pour devenir du cuir. Voici que la notion de produit naturel synthétisé rentre dans la danse.
La viande aussi devient synthétique
Cette distinction vaut également pour la viande, qui peut être naturelle car directement issue de l’animal, synthétique car issue de la transformation de fibres végétales, ou naturelle synthétisée car élevée en laboratoire à partir de cellules souches. Y a-t-il une gradation à opérer entre ces différents modes de production ? Non. Chacun trouvera des réponses différentes à des questionnements personnels, qu’il s’agisse du bien-être animal, du coût en gaz à effet de serre ou du refus de la manipulation des cellules souches. Le monde produira de plus en plus d’éléments de manière synthétique et annonce peut-être une société plus abondante. A Munich, l’entreprise AMSilk fabrique des matériaux en soie synthétique à partir de sucre végétal. Ces matériaux ont déjà été utilisés pour des vêtements de sport à haute performance comme pour des implants médicaux. Le principal facteur limitant aujourd’hui est souvent le prix de l’électricité. Ainsi, la fabrication de diamants de synthèse nécessite une cuisson à très haute température. Mais, si cette limite devait être levée, que ce soit par les énergies renouvelables ou par le nucléaire, nous serions envahis de produits de synthèse. Pour notre plus grand bien.
Conséquences géopolitiques
La production industrielle de diamant a vu son prix diminuer chaque année. L’écart de prix par carat entre un diamant naturel et un diamant synthétique est désormais de 65 à 70 %. La production synthétique a parfois été nécessaire pour répondre à la demande. La zone de récolte de la vanille, fruit d’orchidées tropicales, est trop réduite pour subvenir aux besoins mondiaux. Il a donc fallu créer un produit de substitution synthétisé à partir de dérivés du pétrole, la vanilline. Mais tout cela ne va pas sans conséquences géopolitiques majeures. Des pays qui tirent aujourd’hui leur richesse des matières premières, comme la République démocratique du Congo et ses 12 millions de carats de diamant extraits l’année dernière, pourraient bien se retrouver demain les poches vides.
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