Vers des territoires autonomes ?, par Jean-Marc Jancovici
Difficile pour l’Europe de concilier développement industriel et autosuffisance énergétique. Le renouvelable ne suffira pas.
L’autonomie, dans le langage courant, est généralement associée à une situation enviable. Un enfant qui devient autonome pour manger, se laver, ou se prendre en charge financièrement, c’est une progression bienvenue pour ses parents, et une personne âgée restant autonome, c’est aussi vu comme souhaitable (à raison) par sa famille. De ce fait, n’est-il pas normal de considérer que, en matière d’énergie aussi, mieux vaudrait être autonome ?
Un tel territoire n’aurait alors plus besoin de dépendre de qui que ce soit pour trouver les moyens d’alimenter le parc de machines qui rend la vie si douce à ses habitants. Peut-on rêver d’y parvenir ?
Au temps des moulins
En France, et en Europe, cela fait très longtemps que nous n’avons plus connu cette situation, qui existait pourtant avant l’ère du pétrole. En effet, au temps du bois, des moulins à eau et à vent, puis des débuts du charbon, toutes les ressources énergétiques étaient essentiellement locales. La musculature des hommes et des animaux de trait était alimentée par la richesse naturelle des alentours (il y avait très peu d’échanges sur de longues distances par voie terrestre) ; les moulins, par le vent et l’eau du territoire ; les chaudières et les forges, par le bois environnant. Aux débuts du charbon, l’autonomie était toujours de mise, ce combustible solide ne voyageant pas facilement sur de longs trajets et en grandes quantités – ce qui explique que l’essor industriel du xviiie siècle soit très lié à la présence de charbon national en grandes quantités. C’est le pétrole qui a significativement changé la donne. Se transportant et se stockant très facilement, disponible dans des pays qui pouvaient en produire bien plus que pour leur propre consommation, il a fait l’objet d’échanges internationaux majeurs… en créant des situations de « non-autonomie énergétique » à grande échelle. Comme ce combustible a favorisé le transport de masse par voie d’eau et de terre, il a aussi autorisé les échanges internationaux de charbon (par train ou minéralier) et de gaz (en facilitant la circulation des composants de gazoducs, qui auraient été impossibles à assembler sans pétrole).
Revenir au bois et à l’hydroélectricité ?
Grâce au pétrole, puis au gaz et à l’uranium importés (respectivement à 99 %, 100 % et 100 %), la France a pu accéder à la profusion de machines productives
– et donc à la consommation de masse – dans le courant du xxe siècle, alors que son charbon s’épuisait (il est aujourd’hui importé à 100 % lui aussi) et que ses barrages étaient limités. Bien sûr, le degré de criticité associé n’est pas le même selon que l’on peut stocker pour plusieurs années de consommation (l’uranium) ou à peine sur quelques mois (le pétrole).
Revenons aux renouvelables, et nous reviendrons à l’autonomie ! La promesse peut-elle être tenue ? Pour ce qui est du bois et de l’hydroélectricité, la ressource est certes chez nous, mais elle n’est pas extensible à la hauteur des fossiles. Ce n’est pas la dépendance à l’étranger qui pose problème, mais l’approvisionnement physiquement possible. Qu’en est-il du solaire et de l’éolien ? Les déployer chez nous demande d’autres ressources importées : des métaux. Ils peuvent être « courants » (nickel, cuivre, aluminium) ou plus inhabituels (notamment les « terres rares », qui sont, en pratique, aussi des métaux), en passant par les métaux précieux (or, argent) utilisés dans l’électronique – sans laquelle il est inenvisageable de déployer des modes non pilotables à large échelle. D’autres métaux encore – notamment le lithium – sont également indispensables pour les batteries.
Déployer les moyens décarbonés
Aucun d’entre eux, actuellement, ne provient d’une mine française, parce que ces ressources n’existent pas ou plus sur notre sol. Est-ce grave ? La seule manière de le savoir consisterait à étudier la question en profondeur mais, dans le doute, il serait sage de commencer par déployer les moyens décarbonés qui sont les moins consommateurs de métal par kilowattheure fourni. Prenant l’avantage sur l’éolien ou le solaire d’un facteur 10 à 100 (stockage inclus), selon une publication toute récente de l’Agence internationale de l’énergie, le nucléaire apparaît alors comme l’énergie créant la dépendance la plus faible (en quantité) aux métaux non disponibles en France. Il ne faut pas l’oublier dans nos arbitrages.