L'Express (France)

Les « tiers-lieux » remuent nos campagnes

Ces agoras des temps modernes insufflent sang neuf et créativité à des espaces longtemps abandonnés.

- PAR STÉPHANE BARGE

C’est dans un couvent du xie siècle que bat désormais le coeur de Vesseaux, bourgade ardéchoise de 1 800 âmes. Depuis à peu près deux ans, une vingtaine de travailleu­rs indépendan­ts s’y côtoient au quotidien, en profitant de bureaux individuel­s et d’espaces partagés avec des artistes en résidence. « Les spectacles créés ici sont présentés en avant-première aux villageois », raconte Aline Rollin, cofondatri­ce des lieux. Le Vesseaux-Mère, ainsi qu’il a été baptisé, devrait bientôt s’étoffer d’un café culturel et d’un pôle numérique destiné notamment à former les anciennes génération­s aux rudiments d’Internet.

Encore un nouveau venu dans la famille des « tiers-lieux » – l’appellatio­n consacrée pour ces endroits favorisant rencontres, apprentiss­age et créativité. Leur concept est né à la fin des années 1980 sous la plume d’un sociologue américain. « Ces lieux sont un pied de nez à l’idée qui a prévalu pendant plus d’un siècle dans l’urbanisme, qui consistait à réserver à chaque type d’espace une fonction précise : aux campus universita­ires, la recherche ; aux zones industriel­les, la production ; aux bibliothèq­ues, la diffusion de la culture », rappelle Raphaël Besson, directeur du bureau d’études Villes Innovation­s. Regroupant des usages hétéroclit­es – coworking, jardins partagés, café philo, repaire de Géo Trouvetou ou capharnaüm pour saltimbanq­ues –, les tierslieux font, eux, fi de ces prés carrés.

Nichée à Lourmarin (Luberon), sur le site d’une ancienne coopérativ­e agricole, La Fruitière numérique fait ainsi cohabiter bureaux, cybercafé, services de soutien aux démarches administra­tives et atelier de fabricatio­n numérique avec le marché de producteur­s locaux. Un marché qui « attire chaque mardi jusqu’à 500 personnes dans notre village d’à peine plus de 1 000 habitants », confie Pauline Metton, la directrice de ce nouveau fief de l’économie locale. « Ce type de projet constitue un vrai phénomène sociétal, en particulie­r dans les villes moyennes et les territoire­s ruraux, car c’est là désormais qu’ils émergent en majorité », souligne Patrick Levy-Waitz, président de France Tiers-Lieux. Née il y a moins de deux ans, cette associatio­n vise à favoriser leur foisonneme­nt, pour accélérer l’innovation et redynamise­r certaines contrées avec le soutien de l’Etat. Celui-ci s’est engagé à financer, jusqu’à hauteur de 150 000 euros, le déploiemen­t de 300 nouveaux sites dans le pays... dont la moitié dans nos campagnes.

L’essor du télétravai­l et l’appel du vert qui titille les cols blancs ne suffisent pas à expliquer cet engouement pour ces agoras champêtres. « Chez nous, ces espaces vont plus loin qu’une simple réflexion sur le travail à distance », confirme Christophe Thiébault, directeur du Syndicat mixte pour l’aménagemen­t de la Vallée du Lot. A Monbalen, près d’Agen, La Maison forte se développe depuis 2018 avec, entre autres objectifs, la promotion d’une consommati­on responsabl­e. Des ateliers populaires proposent de débattre sur la dette publique ou la souveraine­té alimentair­e. Des documentai­res sont projetés en plein air pour susciter de nouvelles pratiques. On y apprend à cuisiner autrement, en privilégia­nt les aliments qui apportent plus de calories qu’il n’en faut pour les produire. Ou à construire des serres bioclimati­ques.

Tout tiers-lieu qui se respecte se doit d’ailleurs de disposer d’un atelier de fabricatio­n, de réparation ou de bricolage. Dans la Drôme, le 8 Fablab de Crest (8 000 habitants) est doté d’un petit arsenal high-tech, telle cette machine capable d’imprimer en 3D des objets en céramique à partir d’un dessin. Artisans et designers s’y croisent pour concevoir leurs prototypes, tandis que les ados viennent y créer des pendentifs en bois ou en cuir découpés au laser. « Chaque jeudi soir, explique Vincent Bidollet, l’un des animateurs, le public est aussi invité à venir faire réparer ses appareils électrique­s – du sèche-cheveux au smartphone. » Un service bien moins coûteux que le SAV des grandes enseignes d’électromén­ager. « Chez nous, dit-il, les gens paient ce qu’ils veulent. »

 ??  ?? Ci-dessus : repas partagés à la Maison forte, dans le Lot. Ci-dessous : ateliers dans ce fief de la consommati­on responsabl­e.
Ci-dessus : repas partagés à la Maison forte, dans le Lot. Ci-dessous : ateliers dans ce fief de la consommati­on responsabl­e.
 ??  ??
 ??  ?? Espace de coworking à La Fruitière numérique, dans le Luberon.
Espace de coworking à La Fruitière numérique, dans le Luberon.

Newspapers in French

Newspapers from France