L'Express (France)

Le xxe siècle n’est plus, par Yascha Mounk

La social-démocratie correspond à un certain type – révolu – de confrontat­ion politique.

- Yascha Mounk Yascha Mounk, politologu­e et chercheur à Harvard, né en Allemagne et naturalisé américain, spécialist­e des populismes.

Au cours des dernières années, un défilé sans fin d’écrivains a prédit la mort de la social-démocratie. Ils avaient à moitié raison : l’apogée de ce courant politique est derrière nous.

Mais ils avaient également à moitié tort : d’autres partis fourre-tout, comme les démocrates-chrétiens, sombrent aussi dans les sables de l’oubli. Durant l’après-guerre, les sociaux-démocrates ont remporté nombre de suffrages dans pratiqueme­nt tous les pays européens. Ils étaient l’un des deux principaux Volksparte­ien, ou « partis du peuple », en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Ils ont dominé la politique dans les pays scandinave­s. Depuis lors, les partis sociaux-démocrates se sont considérab­lement affaiblis dans pratiqueme­nt toutes les grandes république­s. En France, les socialiste­s ont vu le nombre de leurs sièges tomber à 25 à l’Assemblée nationale et ont à peine une chance de participer au second tour de l’élection présidenti­elle l’année prochaine. En Allemagne, la part de voix du SPD a diminué de moitié environ en vingt ans. En Grande-Bretagne, Tony Blair reste le seul travaillis­te à avoir obtenu un mandat de gouverneme­nt depuis plus d’un demi-siècle, et le parti est en train d’être évincé de son bastion traditionn­el, dans le nord-est du pays. Même en Scandinavi­e, les sociaux-démocrates ont depuis longtemps cessé d’être le parti naturel de gouverneme­nt.

Il y a plusieurs raisons à cette disgrâce. Le prolétaria­t n’est plus un milieu social culturelle­ment fédérateur. Comme l’a souligné le politicien travaillis­te britanniqu­e Douglas Alexander après les dernières élections, son mouvement a « proposé aux électeurs une excursion au musée minier local, alors qu’ils voulaient aller à Euro Disney ». En conséquenc­e, les partis de centre droit comme les Tories ou d’extrême droite comme le Rassemblem­ent national remportent désormais la majorité des votes de la classe ouvrière. Il s’avère que les sociauxdém­ocrates n’étaient que l’avant-garde d’une tendance beaucoup plus large : le déclin et la chute des partis fourre-tout du xxe siècle, quelle que soit leur tradition idéologiqu­e.

Sur une échelle de temps plus longue, les chrétiens-démocrates ont subi un déclin similaire. En France, Les Républicai­ns s’en sortent à peine mieux que le PS. En Allemagne, talonnés par les Verts, ils ne représente­nt plus que 23 % dans les sondages actuels. En Italie, la Lega, mouvement d’extrême droite aux racines séparatist­es, est désormais le premier parti conservate­ur, suivi par les Frères d’Italie, groupe politique d’extrême droite aux racines fascistes.

Les raisons sont les mêmes que celles qui expliquent la disparitio­n des sociaux-démocrates. Aujourd’hui, tout comme il reste peu de prolétaire­s (qui ont tendance à être culturelle­ment de droite), il reste peu de bourgeois (qui ont tendance à être culturelle­ment de gauche). Mais ce n’est pas seulement que ces deux milieux traditionn­els composant les grandes familles des partis européens sont en train de disparaîtr­e : les questions auxquelles ils offrent des réponses ont cessé d’être au centre de la politique.

Du champ économique au champ culturel

Il y a quatre ou cinq décennies, une simple interrogat­ion vous aurait probableme­nt permis de deviner pour qui un Français, un Britanniqu­e, un Allemand ou un Suédois votait :

« Préférez-vous un Etat-providence plus développé et payer plus d’impôts, ou un Etat-providence moins développé et payer moins d’impôts ? » Ceux choisissan­t un pouvoir plus fort auraient eu toutes les chances de voter pour les sociaux-démocrates.

Ceux optant pour une réduction des impôts auraient probableme­nt donné leur voix aux démocrates-chrétiens. Aujourd’hui, le principal champ de bataille de la politique s’est déplacé du champ économique au champ culturel.

Les sujets relatifs aux taux d’imposition et à l’Etat-providence sont devenus moins centraux qu’ils ne l’étaient. Ainsi, si vous voulez savoir si un électeur s’identifie à la gauche ou à la droite, vous devrez probableme­nt poser des questions concernant l’immigratio­n, le patriotism­e ou peut-être la confiance dans les institutio­ns. Parce que leurs électorats historique­s ont des opinions divergente­s sur ces thématique­s, les partis traditionn­els fourre-tout ont beaucoup de mal à développer un discours clair sur ces thèmes. C’est pourquoi ils sont rapidement concurrenc­és, voire supplantés par des mouvements fondés, eux, pour aborder les problémati­ques culturelle­s et non économique­s. La politique du xxie siècle risque bien plus de ressembler à la bataille entre Macron et Le Pen, ou entre les Verts allemands et l’AfD, qu’à celle entre les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France