Plongée dans la jungle des labels
Multiples, ils permettent d’accompagner les PME dans leur transition écologique. Décryptage.
Si 90 % des PME affichent une démarche RSE, celle-ci n’est réellement structurée que dans 1 cas sur 4, et seulement quelques centaines d’entreprises sont labellisées en France, selon une étude Bpifrance Le Lab (1). Avec la loi Pacte s’est engagée une réflexion sur les labels RSE, en particulier sur la nécessité de les harmoniser et de les rationaliser. En l’absence d’obligation de rapport extra-financier (imposé aux structures de plus de 500 salariés) ou de devoir de vigilance (pour celles de plus de 5 000 salariés), les PME et TPE voient l’obtention d’une certification comme un moyen de rendre visible un engagement volontaire.
Mais le maquis des labels nourrit parfois un sentiment de scepticisme, beaucoup d’entre eux étant autodéclarés. Le rapport (2) remis au ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, en novembre dernier, en a ainsi recensé une cinquantaine, généralistes, thématiques ou sectoriels (voir infographie page VI).
L’expérimentation sur les labels sectoriels conduite par la Plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises (Plateforme RSE), entre 2018 et 2021, auprès de 18 fédérations professionnelles et 340 sociétés confirme la très forte attente des TPE, PME et ETI en la matière.
Pour Muriel Jorigny, consultante RSE au sein du cabinet de conseil Thérius, il convient de se mettre d’accord sur ce que sous-tend la notion de label, devenue pour
le moins fourre-tout. « Un label RSE peut aller de la simple autodéclaration à une évaluation par une tierce partie selon un référentiel explicite, qui lui est propre. Bien sûr, ces labels s’appuient tous sur les lignes directrices de l’ISO 26 000, mais ils l’ont simplifiée. » Depuis quelques années, chacun de ces référentiels se décline de manière sectorielle. Loin de se limiter au recyclage de ses déchets, la performance RSE d’une société s’affine en effet avec la création de marqueurs propres aux pratiques de son domaine d’activité.
Une démarche de labellisation, vécue comme chronophage à l’échelle d’une petite structure, exige toutefois quelques outils méthodologiques, voire, très souvent, un accompagnement. « Selon une étude réalisée auprès de 8 500 entreprises françaises (3), la RSE procure un gain de performance de l’ordre de 13 %. Il est donc primordial de donner le déclic aux “primo-accédants” à la RSE, estime Philippe Kunter, directeur développement durable et RSE chez Bpifrance. C’est pourquoi nous proposons des matinées de sensibilisation gratuites via nos réseaux d’entrepreneurs pour les start-up, les TPE comme pour les grosses PME, avec des retours d’expérience. Nous finançons par ailleurs à hauteur d’un tiers des formations sur le sujet, avec des partenaires solides, sélectionnés chaque année. Le cursus se déroule sur plusieurs jours, avec des sessions en groupe.
Nos consultants réalisent également un diagnostic dans l’entreprise, avec le business comme clef d’entrée, et calent une feuille de route opérationnelle qui tient compte des réalités de la structure et de son ancrage territorial. »
Si la société s’engage ensuite dans une évaluation avec un organisme tiers indépendant (Lucie, Afnor…) pour faire reconnaître sa démarche, cela représente un coût financier. « Mais la RSE est rentable !, renchérit Muriel Jorigny. Parce qu’elle prend source dans l’écoute de ses parties prenantes, elle est un vecteur de performance
S’inspirer de la permaculture pour tester un nouveau modèle de développement
et de résilience qui encourage le collectif, limite les risques, facilite l’innovation, attire les talents et développe des parts de marché. »
Reste que la reconnaissance des marchés publics et des donneurs d’ordre n’est pas toujours au rendez-vous. « Le problème est identifié depuis un certain temps, notamment dans les consultations ou les appels d’offres. Il pose la question de la crédibilité des labels, qui s’avèrent plus signifiants lorsqu’ils s’inscrivent dans une filière ou dans un domaine d’activité, constate Philippe Kunter chez Bpifrance. Nous en discutons beaucoup avec les évaluateurs, et il faut faire en sorte que les entreprises qui sont entrées dans un schéma de label ou de certification en retirent un véritable positionnement concurrentiel. »
Pour valoriser les démarches RSE et justifier, le cas échéant, le prix d’un produit ou d’un service rendu plus cher par des exigences sociales ou environnementales, Muriel Jorigny suggère de faire preuve de davantage de pédagogie dans les devis. « On donne bien pléthore de détails techniques dans un devis du BTP, pourquoi ne pas valoriser, par exemple, l’absence de composés organiques volatils dans une peinture, ou bien la sécurité du chantier ? La RSE commence là où la réglementation s’arrête… C’est une culture différente. »
« La multitude des labels brouille leur pertinence et nous questionnons leurs limites, déplore Léa Faucheux, membre du pôle finance au sein du collectif Pour un réveil écologique, qui aide les jeunes diplômés à choisir un employeur engagé dans la transition écologique. Pour mesurer la solidité de la démarche d’une entreprise, nous épluchons son rapport RSE, qui se contente souvent d’informations légales. Nous considérons en revanche le rattachement de la RSE au comité stratégique comme une avancée. »
D’aucuns soupçonnent les techniciens de la RSE de se rendre indispensables auprès des entrepreneurs en complexifiant la démarche. « Nous avons beaucoup oeuvré afin que les labels se développent, reconnaît pour sa part Jacques Huybrechts, fondateur du Parlement des Entrepreneurs d’avenir (4), mais force est de constater la capacité du système capitaliste à récupérer des notions pour les vider de leur substance. Les labels permettent certes aux entreprises de se poser les bonnes questions, de canaliser les efforts et d’arriver à une certaine cohérence, mais sans pour autant devoir rendre des comptes et bonifier leurs pratiques. Face à l’urgence, il ne s’agit plus seulement de diminuer les externalités négatives [NDLR : conséquences négatives des actions économiques d’une entreprise (dans son
écosystème, par exemple), sans aucune compensation ou dédommagement], mais d’aller vers une entreprise régénérative, qui adopte les logiques du vivant : adaptation, circularité… »
Et de citer le concept de « permaentreprise » défendu par Sylvain Breuzard (5), qui s’inspire de la permaculture pour expérimenter un modèle de développement dans sa propre société à mission, Norsys. Cette SSII de 600 collaborateurs (rebaptisés « easymakers » !) pilote des projets numériques pour de très grandes firmes et des institutions en donnant un cadre éthique à l’usage des nouvelles technologies. Autre exemple, la plateforme numérique Zei, qui rassemble tous les critères d’évaluation en ligne pour qu’une société situe sa démarche environnementale par rapport à son secteur et à ses concurrents.
Selon Sylvain Breuzard, le modèle permaculturel, qui a fait ses preuves sur le terrain, peut guider l’action de l’entreprise. Comme en permaculture, cette dernière vise la pérennité et la production, mais elle en change radicalement les conditions : « Une production utile aux humains, sans nuire à la planète, en faisant un usage sobre, voire régénératif, des ressources, et en partageant équitablement les richesses ».
« La permaentreprise, ou l’entreprise d’avenir, appelons-la comme on veut, implique véritablement ses parties prenantes, sujet par sujet, enjeu par enjeu, au service d’exigences données, précise Jacques Huybrechts, et nous avons à coeur de porter ce concept au sein du réseau Entrepreneurs d’avenir. Nous allons accompagner des cohortes de dirigeants vers une transformation de leur modèle, et ce thème sera le sujet du prochain Parlement des Entrepreneurs d’avenir, en juin 2022. » Bienvenue dans l’ère de la post-RSE ?
(1) « Une aventure humaine : les PME-ETI et la RSE » (mars 2018). (2) « Labels RSE – Accompagner les entreprises et donner confiance à leurs parties prenantes » (novembre 2020). (3) « Responsabilité sociale des entreprises et compétitivité ? – Evaluation et approche stratégique », par Salima Benhamou et Marc-Arthur Diaye, en collaboration avec Patricia Crifo, France Stratégie (janvier 2016). (4) Et coauteur du Manifeste pour refonder le progrès, avec Dorothée Browaeys (janvier 2020). (5) La Permaentreprise, éd. Eyrolles (février 2021).