L'Express (France)

Un bon moyen de booster l’innovation

VIVIANE ROSACA

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Parfois vécue comme une contrainte, voire un parcours du combattant, par les dirigeants, la RSE peut aussi être un formidable levier de transforma­tion des entreprise­s.

« Un déclencheu­r »

Yves Noirot, directeur général des Fonderies de Sougland

Quand il arrive aux Fonderies de Sougland voilà sept ans, Yves Noirot sait qu’il va diriger une entreprise historique, créée sous François Ier, dans un secteur qui ne fait pas rêver… Une fonderie, dans l’imaginaire collectif, « c’est Zola, l’industrie lourde, la fabricatio­n en masse… Tout sauf une entreprise innovante », admet le dirigeant. « Pourtant, une maison qui perdure depuis 1543 a forcément su s’adapter, poursuit-il. C’est ici que nous avons inventé la première machine à émailler (1er prix à l’Exposition universell­e de 1900). A l’époque, ce n’était pas tant pour des questions de compétitiv­ité que pour protéger les salariés de la fonderie. On faisait déjà de la RSE sans le savoir. » Cependant, la filière fonderie est à son point de bascule : se transforme­r ou disparaîtr­e. Et c’est là qu’intervient la démarche sociétale pour Sougland. « Florence Lang, la propriétai­re, avait déjà lancé des initiative­s, comme être ISO 14001 [norme qui satisfait le système de management environnem­ental] depuis plus de vingt ans. Elle voulait que je continue dans cette voie pour assurer la pérennité de l’entreprise… »

Yves Noirot commence par embaucher une chercheuse, docteure en chimie et métallurgi­e : « Les gens m’ont pris pour un Martien. Une chercheuse dans une boîte de 70 personnes ! » Et pourtant, le pari est payant. Très vite, l’entreprise dépose un brevet innovant : un barreau pour les chaudières industriel­les biomasses, composé à 90 % de pièces usagées et de matière recyclée. « Cette innovation alliée à l’économie circulaire a été un déclencheu­r », se souvient le dirigeant, qui, grâce à Bpifrance, se forme à la RSE chez Audencia, une grande école de commerce. Il en revient des idées plein la tête, notamment de « libération de l’entreprise », qu’il met en place : travail en mode projet avec des équipes très autonomes centrées sur le besoin du client, mise en place d’un comité communicat­ion porté par les salariés. L’innovation verte poursuit son chemin, avec une bonne dose d’agilité : « Désormais, nous recyclons tout le sable utilisé dans la fonderie, ce qui a nécessité une transforma­tion de notre outil de production », poursuit Yves Noirot. « Nous sommes partenaire­s de 3D Métal Industrie pour créer des moules en 3D sable, ce qui nous permet de modéliser plus rapidement et à un coût moindre les pièces en petite quantité. » Bien sûr, tout ceci ne va pas sans des investisse­ments conséquent­s : « Bpifrance, la Région Hauts de France et nos banques nous ont prêté des fonds pour ces projets. » Objectif atteint : la fonderie de François Ier est aujourd’hui bardée de labels, dont celui de « Vitrine Industrie du futur ». Cette entreprise unique en son genre attire désormais les talents et les clients, « qui arrivent sans qu’on ait besoin d’aller les chercher. En 2020, 80 sociétés que nous ne connaissio­ns pas nous ont contactés. Et déjà 36 depuis le début 2021. On pourrait croire qu’elles sont motivées par la relocalisa­tion en France. Mais non, la vraie raison, c’est notre approche RSE… »

« Une nécessité absolue » Christine Atzémis,

présidente de Camérus

Pour Christine Atzémis, à la tête du groupe Camérus, n° 2 de la location de mobilier événementi­el, la demande RSE est venue des clients, notamment des organisate­urs de salons, de parcs d’exposition­s ou encore du forum de Davos. « Ils ont commencé à nous demander des efforts sur les emballages… Puis ils ont voulu des éléments de preuve : que faisions-nous pour protéger l’environnem­ent ? Mais c’est vraiment depuis un an

et demi que j’ai pris conscience de cette nécessité absolue : si nous ne nous transformi­ons pas, l’entreprise resterait-elle compétitiv­e ou existerait-elle encore dans cinq ans ? »

Portée par la demande, la dirigeante entame son chemin vers une pratique plus éthique. « Si l’on y réfléchit, la location de meubles est vertueuse car nous les réemployon­s systématiq­uement. Mais nous avons aussi beaucoup de leviers sur lesquels agir, comme remplacer les housses en plastique par des couverture­s lavables pour protéger les meubles. Tous nos véhicules de 20 mètres cubes fonctionne­nt désormais au gaz naturel ; un gros investisse­ment, mais rentable à terme. » L’entreprene­use reconnaît toutefois que le besoin ne trouve pas toujours de solution : « L’un de nos gros impacts sur l’environnem­ent reste le transport. Mais un semi-remorque vraiment vert, ça n’existe pas encore… » Pour cette battante, la contrainte s’est muée en engagement : « Quand on est chef d’entreprise, on est animé par une vision. On n’a pas toutes les compétence­s, il faut donc s’entourer, et la

RSE ne fait pas exception. Mais c’est à nous de donner l’impulsion. Alors on lance des chantiers. Par exemple : recenser dans notre stock de 50 000 pièces de mobilier celles qui ont le moins d’impact environnem­ental. Ou encore initier un “Diag écoflux” [programme destiné à optimiser les coûts en réduisant les pertes en énergie,

« Tous nos véhicules de 20 mètres cubes fonctionne­nt désormais au gaz naturel »

matière, déchets et eau] avec Bpifrance et l’Ademe, ainsi qu’une mission de cadrage et de développem­ent de notre stratégie et plan d’action RSE… »

Parmi les actions qui la motivent le plus : créer sa propre collection de mobilier écorespons­able. « Ce sera un véritable avantage concurrent­iel et une fierté que de concevoir notre ligne en travaillan­t sur tous les aspects, matériau, design, fonctionna­lités… Nous allons nous adjoindre les services de designers, travailler en Fab Lab… » Le plus complexe, pour Christine Atzemis, reste de modifier les habitudes de travail des salariés. « En cela, la crise du Covid-19 est devenue une opportunit­é. L’entreprise est, hélas, complèteme­nt à l’arrêt depuis un an. Mais c’est le bon moment pour déployer le projet RSE. Les collaborat­eurs ont de la disponibil­ité, ils y voient un projet d’avenir et je ressens de leur part un entrain qui n’aurait peut-être pas pu se déclencher deux ans plus tôt. De ce point de vue, c’est finalement très positif. »

« Une demande des consommate­urs » Francis Gelb,

fondateur de Sabre Paris

La transforma­tion RSE des entreprise­s peut être étroitemen­t liée au secteur dans lequel elles évoluent, comme en témoigne Francis Gelb, fondateur et dirigeant de Sabre Paris, marque de couverts de table haut de gamme. « Sabre est une entreprise qui a aujourd’hui 28 ans. Je suis né dans l’orfèvrerie, mon père faisait du métal argenté. J’ai travaillé dans l’entreprise familiale, puis j’ai créé la mienne. J’avais une vraie vision de ce que je voulais faire et une idée précise de ce que pourrait être l’orfèvrerie : quelque chose de plus coloré, jeune, différent de la table de mes parents, qui était très classique… »

Francis Gelb le reconnaît volontiers, le secteur des arts de la table et de l’orfèvrerie n’est pas particuliè­rement mature côté RSE. Orientées à 80 % à l’export, les ventes de l’entreprise se portent bien et ont été multipliée­s par 2 avec la crise sanitaire. « Mais la RSE n’est pas une priorité pour mes clients, des distribute­urs et revendeurs qui ont mon âge [57 ans]. Je fais souvent la même boutade : j’ai démarré il y a vingt-huit ans dans le secteur, j’étais le plus jeune et je suis toujours le plus jeune… Il n’y a pas de renouvelle­ment ! »

Alors comment aborder la RSE quand ce n’est pas dans l’ADN du secteur ? « Ce sont nos propres enfants qui nous font bouger petit à petit. Et les consommate­urs, qui nous interpelle­nt sur les emballages de nos couverts, par exemple. » Mais par où

commencer ? « J’avais vraiment besoin de “la RSE pour les nuls”, alors nous nous sommes fait accompagne­r par un cabinet spécialisé. Le consultant a commencé par rechercher des emballages équivalent­s en matériau écorespons­able. Ce fut une désillusio­n : on s’attendait à un surcoût de 25 %, et nous avons eu des cotations multiplian­t par 2 ou 3 notre coût actuel… Impossible à absorber ! Il va donc falloir que j’attende que l’industrie du “plastique vert” progresse encore. Pour une petite société de 30 personnes, ce sont des investisse­ments colossaux… »

Francis Gelb ne renonce pas pour autant. « Nous avons lancé une étude avec un cabinet de design et d’ingénierie industriel­le pour concevoir des produits écorespons­ables. Cela va prendre du temps. Je ne crois pas au “Grand Soir” de la RSE, mais plutôt à des petits pas quotidiens… »

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« De petits pas quotidiens » : changer d’approche ne se fait pas en un jour.

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