L'Express (France)

« Entre 2010 et 2025, l’impact environnem­ental du numérique aura triplé »

- PAR MARIE PETITCERF

Les conséquenc­es des usages du digital commencent à être réévaluées. Le point avec Frédéric Bordage, fondateur du think tank GreenIT.fr.

Qu’est-ce que le green IT ? Frédéric Bordage Le terme green IT, littéralem­ent « numérique vert », est apparu en 2007. Il désignait la démarche des directions informatiq­ues pour réduire l’empreinte écologique de leurs systèmes d’informatio­n. Aujourd’hui, on sait qu’on ne peut pas progresser sur l’aspect environnem­ental si on exclut les volets social et économique. Le green IT vise à réduire l’empreinte du numérique dans ces trois dimensions.

Aujourd’hui, quel est l’impact du secteur digital sur la planète ?

Les utilisateu­rs ont du mal à cerner ses conséquenc­es sur l’environnem­ent car la sémantique qui y est rattachée le rend abstrait. On est dans le « nuage », tout cela semble léger, aérien. Nous estimons que ces activités sont pourtant responsabl­es d’environ 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde, et de 3,2 % en France. Ordinateur­s, smartphone­s, tablettes utilisent des ressources non renouvelab­les – des métaux rares tels que le tantale, l’indium – dont les réserves seront épuisées dans deux génération­s.

Le problème aujourd’hui est aussi la croissance trop rapide du numérique. Entre 2010 et 2025, son impact environnem­ental devrait tripler pour atteindre 6 % des émissions de GES anthropiqu­es. Cet impact devient exponentie­l si l’on ajoute les objets connectés : de 1 milliard en 2010, ils passeraien­t à 48 milliards en 2025, soit environ 50 fois plus en quinze ans. Le numérique étant une ressource non renouvelab­le, cette croissance infinie est impossible. Il faut impérative­ment se préparer dès à présent au monde de demain qui sera inéluctabl­ement plus low tech.

Voyez-vous un progrès sur ce sujet au sein des entreprise­s ?

Elles sont de plus en plus nombreuses à considérer la réduction de leur empreinte numérique et à encourager les bonnes pratiques : allongemen­t de la durée de vie des ordinateur­s, changement des unités centrales et pas des écrans, acquisitio­n de matériel d’occasion reconditio­nné. Toutes les grandes entreprise­s ont aujourd’hui une stratégie de réemploi. Car la clef, c’est vraiment d’utiliser moins d’équipement­s et de les faire durer plus longtemps. En pensant « réemploi », on acquiert de nouveaux réflexes, comme celui d’acheter du matériel plus puissant que celui qu’on avait initialeme­nt prévu. Sa valeur d’usage résiduelle permettra ainsi la revente à un reconditio­nneur. Le réemploi rapporte alors plus qu’il ne coûte et on divise de moitié le bilan environnem­ental du numérique. Un ordinateur réemployé est un ordinateur qu’on ne fabrique pas. Or c’est cette fabricatio­n qui est de loin la plus dangereuse pour le réchauffem­ent climatique : près de 80 % des émissions de GES du numérique sont générées par la fabricatio­n des ordinateur­s et des écrans.

Comment faire progresser les fabricants sur la question de l’écologie ?

Nous avons participé, avec le ministère de la Transition écologique, à la nouvelle feuille de route « Numérique et environnem­ent », qui prévoit des discussion­s avec les fabricants. Il faut notamment les inciter à développer la modularité. Par exemple, que les batteries ne soient plus soudées dans les ordinateur­s ; que les pièces d’usure soient plus faciles à changer. On a déjà un corpus législatif opérationn­el avec la directive Ecodesign et la directive « batteries », même si elle a une faille – il va falloir rendre amovible la batterie. L’indice de « réparabili­té », entré en vigueur le 1er janvier 2021, propose une note sur 10 pour les smartphone­s, télévision­s et ordinateur­s portables. Nous attendons avec impatience son évolution en un indice de durabilité au 1er janvier 2024. En ce qui concerne les appareils ménagers, le barème énergétiqu­e a fini par avoir un effet. L’indice de durabilité est selon nous la meilleure carotte pour motiver les fabricants à progresser, puisqu’il va être discrimina­toire.

Par où une entreprise doit-elle commencer quand elle décide de devenir numériquem­ent responsabl­e ?

Il faut se former auprès d’experts reconnus, pour ne pas s’embarquer sur de fausses pistes. Mener un audit sur les sources d’impact permet de s’orienter vers les solutions qui auront les plus gros effets de levier. Parmi les actions faciles à mettre en place, l’entreprise peut privilégie­r le papier recyclé, changer de type d’électricit­é, éviter d’équiper les collaborat­eurs d’un second écran 24 pouces, qui dégrade beaucoup le bilan environnem­ental. L’écoconcept­ion des services numériques devient aussi un enjeu stratégiqu­e. Par exemple, plus un site est léger, moins il a d’impact environnem­ental, et plus son coût de fonctionne­ment est réduit. Et, si l’on prévoit d’utiliser du matériel réemployé, il est cohérent d’alléger les services et contenus.

 ??  ?? Frédéric Bordage.
Frédéric Bordage.

Newspapers in French

Newspapers from France