L'Express (France)

Mali Assimi Goïta, serial putschiste

Auteur d’un second coup de force en neuf mois, l’homme fort du Mali a tissé sa toile pour prendre le pouvoir. Et compte bien le garder.

- CHARLOTTE LALANNE

Il faudra que tu m’aides, je vais devenir président. » L’auteur de cette petite phrase, chuchotée il y a quelques semaines, entre deux portes, à un haut dignitaire ouest-africain, s’appelle Assimi Goïta. Aujourd’hui, le colonel au béret vert se retrouve aux commandes du Mali. Exit le président et le Premier ministre, cueillis à leur domicile le 24 mai et conduits manu militari à la caserne de Kati, dans la banlieue de Bamako. Le duo n’a eu d’autre choix que de démissionn­er.

Goïta n’en est pas à son coup d’essai. Le 18 août 2020, avec quelques comparses, il chasse du pouvoir le précédent chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Keïta. Dès le lendemain, le discret colonel se montre au grand jour. Son discours mesuré séduit la population, lassée des atermoieme­nts d’ « IBK », incapable d’endiguer l’insécurité et la pauvreté du pays. « Le Mali n’a plus droit à l’erreur », déclare alors ce commandant des forces spéciales maliennes, bientôt élevé au rang de chef de la junte, puis de chef d’Etat. Mais la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) craint l’accapareme­nt durable du pouvoir par les militaires. Le 20 août, elle impose un embargo économique au Mali. Sous pression, Assimi Goïta laisse la place à deux civils pour assurer une transition de dix-huit mois avant l’organisati­on d’élections. L’ambitieux colonel devait se contenter du titre de vice-président – en théorie.

« Dès le début de la transition, plusieurs signaux montraient qu’il n’avait aucun intention de déléguer son pouvoir, observe Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute à Dakar. Il a placé ses hommes au sein du Conseil national de transition, l’organe législatif du pouvoir, nommé la plupart des gouverneur­s de région et imposé ses fidèles à la tête des ministères clefs de la Sécurité et de la Défense. » La voie est libre pour Goïta, respecté dans les rangs de l’armée. « Il a l’image d’un homme de terrain, pour avoir combattu l’insurrecti­on djihadiste », explique le chercheur canadien Marc-André Boisvert. Mais le militaire a également tissé des relations à l’extérieur du Mali. En 2016, il suit un programme sur le terrorisme en Allemagne. En 2019, il participe à l’opération Flintlock de formation contre-terroriste par des soldats américains. Plus à l’aise dans son Hummer jaune blindé que devant les caméras, le militaire n’en a pas oublié pour autant d’élargir son réseau politique. Parmi ses plus fidèles soutiens, on compte Issa Kaou Djim, bras droit de l’imam Mahmoud Dicko, dignitaire religieux de premier plan. En mai, la situation s’envenime. A Bamako, il se murmure que le président et son Premier ministre en poste en ont assez de jouer les pantins. Ils veulent s’émanciper des colonels et écarter la junte des ministères de la Défense et de la Sécurité. Furieux d’avoir été tenu à l’écart de ce projet, Goïta, le Machiavel de Bamako, ordonne un second coup de force.

« L’homme qui mange du miel ne retournera jamais brouter de l’herbe, ironise un Bamakois fin connaisseu­r de la scène politique malienne. Comme ses prédécesse­urs, le colonel a goûté au pouvoir et pense que sans lui, le Mali sombrera dans le chaos. » Le 27 mai, il s’autoprocla­me président de la transition. Deux jours plus tard, la Cour constituti­onnelle malienne valide son coup de force, en dépit des condamnati­ons internatio­nales.

C’en est trop pour Washington, qui a suspendu son aide aux forces de défense maliennes. Quant à Emmanuel Macron, il assure qu’il « ne restera pas aux côtés d’un pays où il n’y a plus de légitimité démocratiq­ue. » Mais Paris se trouve en délicate position. « La voix de la France est inaudible. Fin avril, elle n’a rien trouvé à dire contre le coup d’Etat perpétré au Tchad voisin », explique Nadia Adam, de l’Institut d’études de sécurité de Bamako. Au nom de la stabilité, l’Elysée – qui a 5 100 soldats au Sahel via l’opération Barkhane – pourrait s’en tenir aux menaces. D’autant que la CEDEAO, réunie en urgence le 30 mai, s’est bien gardée, cette fois, de sanctions directes sur Goïta.

Mais à trop s’exposer, le mystérieux colonel prend des risques. « Il va exploser en plein vol quand son inexpérien­ce politique éclatera au grand jour », prédit un ancien ministre malien. Pour l’heure, il cherche à intégrer dans son exécutif des membres du Mouvement du 5-Juin, qui a aidé à la chute d’IBK en août 2020. Mais certaines voix s’élèvent contre une potentiell­e dérive militarist­e. « Aujourd’hui, les colonels sont à Bamako, dans des bureaux climatisés, alors que leur place est au front, déplore Adam Dicko, activiste. Je suis humiliée de voir les hommes de Barkhane se battre au front quand nos militaires se battent ici pour des postes ministérie­ls. »

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Le colonel Goïta, en septembre 2020.

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