L'Express (France)

Garantie jeunes, le casse- tête des missions locales

Destiné aux « décrocheur­s » de 16 à 25 ans, le dispositif pourrait être élargi. Sur le terrain, on peine déjà à suivre.

- PAR NATHALIE SAMSON

Junior et Naima n’ont pas encore 25 ans, mais, déjà, les années de galère s’accumulent. Nous sommes fin mai à la mission locale Paris-Vallée de la Marne, à Torcy (Seine-et-Marne), une de ces villes-dortoirs de la grande banlieue parisienne. Un bonnet noir vissé sur la tête, Junior, titulaire d’un CAP commerce, raconte la spirale de l’échec et du décrochage : le manque d’argent, la rue et un contrat d’apprentiss­age brutalemen­t stoppé par son employeur au bout de deux mois. En février 2020, il a accepté d’entrer dans le dispositif « garantie jeunes », un mécanisme d’accompagne­ment renforcé combinant un suivi adapté et le versement d’une allocation. « Les conseiller­s m’ont aidé sur le plan financier, mais aussi à trouver une place à l’hôtel », salue-t-il. Depuis, sa situation s’est stabilisée. Il y a deux mois, il a décroché un CDI qui lui plaît chez Brico Dépôt.

Les choses sont en revanche plus compliquée­s pour Naima. Sa conseillèr­e lui avait bien déniché, après plus d’un an de suivi, un contrat de trois mois de préparatri­ce de commandes dans la grande distributi­on, mais celui-ci s’est achevé en décembre dernier. Depuis, plus rien. Même si la jeune femme reconnaît que « c’était difficile de se lever pour venir aux rendezvous », son « rêve » serait d’être de nouveau accompagné­e.

Lancée en 2013, la « garantie jeunes » n’est pas un droit, à la différence du RSA, mais un dispositif dans les mains des missions locales. Le jeune qui s’engage à suivre ce programme d’accompagne­ment renforcé perçoit en contrepart­ie une allocation d’au maximum 497 euros par mois pendant un an, voire plus longtemps si nécessaire. L’outil est destiné aux 16-25 ans qui ne sont ni en formation, ni en emploi, ni en stage – les « neet (not in education, employment or training) ». Selon une étude de la Direction interminis­térielle de la transforma­tion publique, 13,5 % des 15-29 ans entraient dans cette catégorie en 2020, soit 1,5 million de personnes. De 150 000 à 200 000 d’entre eux cumuleraie­nt des problèmes familiaux, de mallogemen­t, d’addiction…

Alors que la crise sanitaire a accentué les difficulté­s d’insertion des décrocheur­s, le gouverneme­nt a prévu, dans le cadre du plan de relance, de doubler le nombre de places offertes en 2021 : elles passeraien­t de 100 000 à 200 000. Il faut dire que les résultats sont prometteur­s. Selon une étude de la Dares, le service des statistiqu­es du ministère du Travail, parue en 2019, onze mois après le début de leur prise en charge, le taux d’emploi des bénéficiai­res s’était accru de 10 points. Et une nouvelle extension du dispositif devrait être annoncée par Emmanuel Macron au tout début de l’été. Une façon de couper l’herbe sous le pied de ceux qui plaident pour un RSA jeune généralisé. Une façon, aussi, de se réconcilie­r avec son aile gauche.

Problème, fin janvier 2021, seulement 89 600 jeunes bénéficiai­ent du programme. L’explicatio­n ? Sur le terrain, on a déjà beaucoup de mal à suivre. Certes, l’Etat a mis des moyens financiers sur la table afin d’aider les 436 missions locales à recruter des conseiller­s et trouver de nouveaux espaces d’accueil. Mais, à Torcy comme partout en France, c’est bien le manque de bras qui inquiète. Il faudrait embaucher au moins 2 000 personnes à travers tout le territoire pour tenir les engagement­s gouverneme­ntaux, d’après les estimation­s de l’Union nationale des missions locales (UNML). « Les modalités financière­s sont complexes, soumises à de nombreuses conditions et non pérennes, souligne Christine Marty, directrice de la mission locale ParisVallé­e de la Marne. Faute de visibilité, il est difficile de recruter et de prendre le risque de doubler le nombre de conseiller­s, car, malgré les développem­ents envisagés, on

nous a avertis que les niveaux d’entrées dans le dispositif et de subvention pourraient être revus à la baisse en 2022. » Une montée en charge également dénoncée par Djoudi Taguelmint, délégué syndical CGT à la mission locale de Marseille. « L’Etat voulait qu’elle accueille 2 400 jeunes cette année, mais on manque de place. Faute de locaux, l’objectif a été revu à la baisse à 1 800 jeunes pour 2021. »

Directrice de la mission locale Lisieux-Normandie (Calvados), Marjorie Guillard, elle, a sauté le pas et recruté deux conseiller­s, en CDI. Reste désormais à trouver les jeunes, les crédits étant alloués en fonction des nouvelles entrées. « Même si les contrainte­s administra­tives ont été allégées, on se heurte parfois à des refus, et il n’est pas question de ne faire que du volume, on tient à garder la qualité du suivi », insistet-elle. Autre grief : « Sur le plan “Un jeune, une solution” [NDLR : dont fait partie la garantie jeunes], le contrôle a aussi été accru, regrette Christine Marty. On remplit énormément de tableurs et on remonte des statistiqu­es qui n’illustrent en rien la réalité et la complexité de notre travail. »

Afin d’en faire un pilier de sa politique envers la jeunesse, Elisabeth Borne, la ministre du Travail, a multiplié depuis quelques semaines les réunions sur le sujet. La présidente de la mission locale Lisieux-Normandie, Clotilde Valter, qui fut secrétaire d’Etat à la Formation sous le quinquenna­t Hollande, est enthousias­te. « Il faut changer de braquet », insiste-t-elle, tout en soulignant que « les missions locales peuvent avoir du mal à identifier ces invisibles ». « On est prêts à se mobiliser », indique Stéphane Valli, président de l’UNML. Si les missions locales et Pôle emploi sont au coeur du mécanisme, d’autres acteurs vont entrer dans la danse. Une « bonne nouvelle » pour Nicolas Truelle, directeur général de la fondation Apprentis d’Auteuil. Quels seront les contours précis ? A cause de la crise, 750 000 jeunes auraient besoin d’être accompagné­s pour trouver un emploi. Le gouverneme­nt ira-t-il jusque-là ? Combien pourront bénéficier du dispositif ? Selon quels critères et à quelle vitesse ? Différents scénarios sont à l’arbitrage à l’Elysée. « La garantie jeunes ne sera donc pas véritablem­ent universell­e », déplore un acteur du terrain. Elle n’en aura a priori pas le nom. Si le terme « universell­e » a jusqu’à présent été utilisé, il est peu probable qu’il soit conservé.

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