L'Express (France)

Otan : retrouvail­les au sommet, par Bruno Tertrais

Réunis ce 14 juin, les membres de l’Alliance devraient afficher leur unité, sans pour autant occulter les sujets qui fâchent.

- Bruno Tertrais Bruno Tertrais, spécialist­e de l’analyse géopolitiq­ue, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégiqu­e et senior fellow à l’Institut Montaigne.

La plupart des alliés attendaien­t ce moment avec impatience. Certes, il y a bien quelques ronchons – les dirigeants d’Europe centrale qui entretenai­ent les meilleures relations avec M. Trump –, mais les partenaire­s de l’Amérique devraient faire un accueil triomphal à M. Biden lorsqu’il les rencontrer­a physiqueme­nt pour la première fois, le 14 juin, à Bruxelles.

Le langage qu’il leur tiendra est connu d’avance : les Etats-Unis sont de retour, vous êtes nos meilleurs alliés, nous avons besoin de vous, mais l’Otan doit continuer à s’adapter et… vous devez dépenser davantage pour votre défense.

Le temps de la rééducatio­n

L’heure n’est plus aux saillies sur la « mort cérébrale » de l’organisati­on et, si le président Macron n’avait pas tort, à l’époque, de s’interroger sur la solidité d’une alliance dont les membres jouaient séparément

– et parfois les uns contre les autres – en Syrie, il préférera sans doute, cette fois, mettre en avant la contributi­on concrète de la France à la défense des intérêts communs. Le temps de la thérapie de choc est passé : voici venu celui de la rééducatio­n.

De fait, l’organisati­on militaire va plutôt bien. Le choc de la crise ukrainienn­e de 2014 a redonné sens à sa mission première : dissuader la Russie de s’en prendre à elle, rassurer l’Europe sur l’engagement américain et défendre collective­ment le territoire des pays concernés si la dissuasion échouait. Les déploiemen­ts et les plans militaires ont été adaptés à cet effet.

Le long engagement en Afghanista­n a solidifié les liens entre les forces armées nationales et accru leur expérience commune au combat. Les dimensions cybernétiq­ue et spatiale sont désormais intégrées à la stratégie de l’Alliance. Et la popularité de cette dernière ne se dément pas dans les opinions (sauf en Turquie et en Grèce). Mais les sujets qui fâchent n’ont pas disparu, et de nouveaux pourraient apparaître. L’Amérique, comme elle le fait depuis soixante-dix ans, continuera à exiger de ses alliés une participat­ion plus grande à la défense commune, et de préférence en achetant américain. La France, comme elle le fait depuis vingt-cinq ans, militera en faveur d’une complément­arité entre l’autonomie stratégiqu­e des Européens, y compris dans le domaine industriel, et la coopératio­n transatlan­tique à 30. On s’accordera sans doute au moins pour dire que l’objectif consistant à dépenser au moins 2 % du PIB national pour la défense n’a guère de sens au vu des variations des chocs économique­s subis depuis dix-huit mois. Un débat de doctrine se prépare aussi, M. Biden souhaitant réduire le rôle de l’arme nucléaire dans la stratégie américaine, ce qui inquiète certains Européens : le sujet pourrait empoisonne­r la rédaction du nouveau Concept stratégiqu­e, qui sera lancée à Bruxelles.

La Turquie en trublion

La Chine occupera une grande partie des discussion­s, et c’est inédit. Pékin ne présente pas une menace militaire directe pour l’Europe, mais la place à accorder aux risques chinois – contrôle d’infrastruc­tures portuaires, marchés nationaux des télécommun­ications, attaques cybernétiq­ues… – fera débat. Avec, en toile de fond, un vieux sujet de discorde : l’Otan doit-elle se focaliser sur sa mission essentiell­e de défense collective, ou peut-elle être un forum de débats, voire de coordinati­on sur les grandes questions politiques du moment ? Le point de consensus se situe quelque part entre les deux. Il faudra en tout cas suivre l’attitude de la Turquie, devenue le trublion de l’Alliance – et où l’Otan bat des records d’impopulari­té. Voudra-t-elle donner des gages à M. Biden et aux Européens ? Ou M. Erdogan, qui partage de moins en moins d’intérêts et de valeurs avec ses alliés, est-il prêt à aller au clash ? La « clarificat­ion » de sa place dans l’Otan, demandée par la France, aura-t-elle lieu ?

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France