Pr Didier Houssin : « La transmission animale reste l’hypothèse la plus probable »
Le comité d’urgence Covid-19 de l’OMS qu’il préside avait très vite demandé une enquête en Chine. Mais, aujourd’hui, cet expert doute que l’on connaisse un jour la vérité sur les origines de la pandémie.
Directeur général de la Santé de 2005 à 2011, le Pr Didier Houssin préside depuis janvier 2020 le Comité d’urgence Covid-19 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). A l’occasion de la sortie de L’Ouragan sanitaire (Odile Jacob), il livre son analyse de la genèse du coronavirus.
Deux théories s’affrontent sur l’origine du Covid : une transmission « naturelle » de la chauve-souris à l’homme, ou un accident de laboratoire. Laquelle vous paraît la plus probable ?
Pr Didier Houssin
Je comprends que le caractère encore mystérieux de l’origine de l’épidémie suscite des interrogations. Mais je partage l’analyse de la mission conduite début 2021 par l’OMS en Chine : l’hypothèse de loin la plus probable reste une transmission animale, sans doute via un hôte intermédiaire entre les chauves-souris, réservoir naturel des coronavirus, et l’homme. Et ce, par argument de fréquence : la grande majorité des maladies infectieuses sont dues au passage d’agents pathogènes depuis le monde animal, et nous l’avons déjà vu pour des coronavirus, en 2003 avec le Sars et en 2012 avec le Mers.
Des milliers de prélèvements ont été réalisés en Chine, et l’animal-hôte n’a pas été identifié. Cela ne fragilise-t-il pas cette thèse ?
En 2003 et en 2012, il avait fallu un peu de temps pour identifier les espèces intermédiaires (la civette et le dromadaire), et, encore aujourd’hui, nous n’avons pas de certitude. Concernant le Sars-CoV-2, ce n’est pas parce que nous n’avons pas trouvé cet animal qu’il n’existe pas. Cela veut juste dire qu’il faut poursuivre les investigations. La question se pose à plusieurs niveaux. Quelle évolution génétique a permis à ce virus de passer chez l’homme ? Comment ce passage s’est-il fait ? Où ? Ces points ne sont pas tranchés et ne le seront peut-être jamais.
Le virus n’aurait donc pas émergé sur le marché de Wuhan ?
La seule certitude, c’est que les deux tiers des premiers malades identifiés l’avaient fréquenté. Cela en fait-il le lieu d’origine, ou un lieu d’amplification de la circulation du virus ? On ne le sait pas. D’autant qu’il n’y avait là ni chauve-souris ni pangolin, espèce qui a d’ailleurs été disculpée depuis. Aucun animal contaminé n’y a été trouvé non plus, alors que le virus a été détecté sur les surfaces des étals et dans les effluents.
Une transmission directe de la chauve-souris à l’homme, ailleurs en Chine, puis un virus qui circule à bas bruit, est-elle envisageable ?
Cela paraît peu probable. Il y a bien cette histoire de grotte, où des mineurs qui ramassaient des fèces de chauve-souris sont tombés malades voilà quelques années, avec des symptômes proches de ceux du Covid. Mais, à ce jour, aucune chaîne de transmission n’a pu être mise en évidence entre cet événement et le démarrage de la pandémie à Wuhan.
Pour autant, vous n’accordez guère de crédit à l’hypothèse d’un accident de laboratoire…
Il est logique que cette possibilité soit évoquée, puisque Wuhan compte trois centres de recherche en virologie, dont certains travaillaient sur les coronavirus. Après, il faut savoir ce que l’on entend par « accident de laboratoire ». Généralement, un technicien, un chercheur ou un animalier se trouve en contact avec un agent infectieux, du fait d’une erreur humaine. Cela peut arriver. Mais ensuite, que cet accident infectieux déclenche une épidémie, c’est autre chose. Les cas les plus spectaculaires ont eu lieu en 1978 en Grande-Bretagne avec la variole, et en 1979 à Sverdlovsk, en Russie, avec des spores d’anthrax. Et, même là, il n’y a pas eu de diffusion à grande échelle. Voilà pourquoi cette hypothèse reste considérée comme très peu probable, même si la mission de l’OMS ne l’a pas écartée.
Au vu des caractéristiques du Covid, avec de nombreux porteurs asymptomatiques, un laborantin n’aurait-il pas pu se contaminer à son insu, et amorcer la diffusion du virus dans la communauté ? A fortiori, s’il s’agit d’un virus génétiquement « amélioré » pour être rendu plus contagieux, comme certains l’évoquent ?
Pour répondre à ces questions, il faudrait interroger les personnes qui ont travaillé dans ces structures, leur faire passer des examens, accéder à leurs dossiers médicaux. Quand on analyse sa séquence génomique, le virus ne semble pas avoir été manipulé, même s’il existe des techniques qui ne laissent pas de traces. On peut imaginer qu’un des laboratoires ait conduit ce type d’expérience, dite de gain de fonction, pour se préparer à une épidémie liée à un coronavirus. Mais, là aussi, il faudrait connaître les manipulations effectuées, par qui, avec quels financements… Il s’agit d’une enquête de police scientifique : interroger, aller regarder dans les congélateurs, séquencer le génome des virus, emporter les ordinateurs, les cahiers de laboratoire… Les membres de la mission de l’OMS n’ont pas ce pouvoir. Il faut voir si l’hypothèse justifierait cette investigation, alors qu’elle reste peu probable. Sans compter que le sujet a pris une telle importance au plan diplomatique qu’il pourrait déboucher sur des questions de responsabilité. Cet aspect ne peut être négligé.
De fait, la Chine n’autorisera jamais une telle enquête…
C’est « de peu probable à très peu probable », pour reprendre la terminologie de la mission ! Dès le début des réunions du comité d’urgence, en janvier 2020, celui-ci avait recommandé que l’on procède à des investigations sur place pour en savoir plus. L’OMS peut en effet suggérer qu’il serait utile que le pays concerné accepte une mission scientifique, dans une approche de coopération avec les chercheurs. Mais dès février/mars, le président Trump a attaqué la Chine et l’affaire s’est transformée en conflit international. Dès lors, il a fallu longtemps pour que les discussions diplomatiques permettent à la mission de se mettre en place. Et, dans tous les cas, le Règlement sanitaire international ne donne pas de pouvoir d’inspection à l’OMS. Peut-être ne connaîtrons-nous jamais les origines du Covid…
Le président Biden a donné trois mois aux services de renseignement américains pour apporter une réponse. N’ont-ils aucune chance de succès ?
C’est une façon d’aborder le problème sous un autre angle. Il ne s’agit plus d’enquêter sur place, dans les laboratoires, mais de tenter de découvrir ce que savent les autorités chinoises. La Chine a-t-elle mené sa propre enquête ? On peut le penser, mais est-ce sûr ? On pourra ensuite s’interroger sur la véracité du rapport des services américains dans un contexte de tension internationale. Les résultats produits seront-ils authentiques ? Qui va le certifier ? On rentre là dans des considérations d’une autre nature.