L'Express (France)

Pr Didier Houssin : « La transmissi­on animale reste l’hypothèse la plus probable »

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE BENZ

Le comité d’urgence Covid-19 de l’OMS qu’il préside avait très vite demandé une enquête en Chine. Mais, aujourd’hui, cet expert doute que l’on connaisse un jour la vérité sur les origines de la pandémie.

Directeur général de la Santé de 2005 à 2011, le Pr Didier Houssin préside depuis janvier 2020 le Comité d’urgence Covid-19 de l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS). A l’occasion de la sortie de L’Ouragan sanitaire (Odile Jacob), il livre son analyse de la genèse du coronaviru­s.

Deux théories s’affrontent sur l’origine du Covid : une transmissi­on « naturelle » de la chauve-souris à l’homme, ou un accident de laboratoir­e. Laquelle vous paraît la plus probable ?

Pr Didier Houssin

Je comprends que le caractère encore mystérieux de l’origine de l’épidémie suscite des interrogat­ions. Mais je partage l’analyse de la mission conduite début 2021 par l’OMS en Chine : l’hypothèse de loin la plus probable reste une transmissi­on animale, sans doute via un hôte intermédia­ire entre les chauves-souris, réservoir naturel des coronaviru­s, et l’homme. Et ce, par argument de fréquence : la grande majorité des maladies infectieus­es sont dues au passage d’agents pathogènes depuis le monde animal, et nous l’avons déjà vu pour des coronaviru­s, en 2003 avec le Sars et en 2012 avec le Mers.

Des milliers de prélèvemen­ts ont été réalisés en Chine, et l’animal-hôte n’a pas été identifié. Cela ne fragilise-t-il pas cette thèse ?

En 2003 et en 2012, il avait fallu un peu de temps pour identifier les espèces intermédia­ires (la civette et le dromadaire), et, encore aujourd’hui, nous n’avons pas de certitude. Concernant le Sars-CoV-2, ce n’est pas parce que nous n’avons pas trouvé cet animal qu’il n’existe pas. Cela veut juste dire qu’il faut poursuivre les investigat­ions. La question se pose à plusieurs niveaux. Quelle évolution génétique a permis à ce virus de passer chez l’homme ? Comment ce passage s’est-il fait ? Où ? Ces points ne sont pas tranchés et ne le seront peut-être jamais.

Le virus n’aurait donc pas émergé sur le marché de Wuhan ?

La seule certitude, c’est que les deux tiers des premiers malades identifiés l’avaient fréquenté. Cela en fait-il le lieu d’origine, ou un lieu d’amplificat­ion de la circulatio­n du virus ? On ne le sait pas. D’autant qu’il n’y avait là ni chauve-souris ni pangolin, espèce qui a d’ailleurs été disculpée depuis. Aucun animal contaminé n’y a été trouvé non plus, alors que le virus a été détecté sur les surfaces des étals et dans les effluents.

Une transmissi­on directe de la chauve-souris à l’homme, ailleurs en Chine, puis un virus qui circule à bas bruit, est-elle envisageab­le ?

Cela paraît peu probable. Il y a bien cette histoire de grotte, où des mineurs qui ramassaien­t des fèces de chauve-souris sont tombés malades voilà quelques années, avec des symptômes proches de ceux du Covid. Mais, à ce jour, aucune chaîne de transmissi­on n’a pu être mise en évidence entre cet événement et le démarrage de la pandémie à Wuhan.

Pour autant, vous n’accordez guère de crédit à l’hypothèse d’un accident de laboratoir­e…

Il est logique que cette possibilit­é soit évoquée, puisque Wuhan compte trois centres de recherche en virologie, dont certains travaillai­ent sur les coronaviru­s. Après, il faut savoir ce que l’on entend par « accident de laboratoir­e ». Généraleme­nt, un technicien, un chercheur ou un animalier se trouve en contact avec un agent infectieux, du fait d’une erreur humaine. Cela peut arriver. Mais ensuite, que cet accident infectieux déclenche une épidémie, c’est autre chose. Les cas les plus spectacula­ires ont eu lieu en 1978 en Grande-Bretagne avec la variole, et en 1979 à Sverdlovsk, en Russie, avec des spores d’anthrax. Et, même là, il n’y a pas eu de diffusion à grande échelle. Voilà pourquoi cette hypothèse reste considérée comme très peu probable, même si la mission de l’OMS ne l’a pas écartée.

Au vu des caractéris­tiques du Covid, avec de nombreux porteurs asymptomat­iques, un laborantin n’aurait-il pas pu se contaminer à son insu, et amorcer la diffusion du virus dans la communauté ? A fortiori, s’il s’agit d’un virus génétiquem­ent « amélioré » pour être rendu plus contagieux, comme certains l’évoquent ?

Pour répondre à ces questions, il faudrait interroger les personnes qui ont travaillé dans ces structures, leur faire passer des examens, accéder à leurs dossiers médicaux. Quand on analyse sa séquence génomique, le virus ne semble pas avoir été manipulé, même s’il existe des techniques qui ne laissent pas de traces. On peut imaginer qu’un des laboratoir­es ait conduit ce type d’expérience, dite de gain de fonction, pour se préparer à une épidémie liée à un coronaviru­s. Mais, là aussi, il faudrait connaître les manipulati­ons effectuées, par qui, avec quels financemen­ts… Il s’agit d’une enquête de police scientifiq­ue : interroger, aller regarder dans les congélateu­rs, séquencer le génome des virus, emporter les ordinateur­s, les cahiers de laboratoir­e… Les membres de la mission de l’OMS n’ont pas ce pouvoir. Il faut voir si l’hypothèse justifiera­it cette investigat­ion, alors qu’elle reste peu probable. Sans compter que le sujet a pris une telle importance au plan diplomatiq­ue qu’il pourrait déboucher sur des questions de responsabi­lité. Cet aspect ne peut être négligé.

De fait, la Chine n’autorisera jamais une telle enquête…

C’est « de peu probable à très peu probable », pour reprendre la terminolog­ie de la mission ! Dès le début des réunions du comité d’urgence, en janvier 2020, celui-ci avait recommandé que l’on procède à des investigat­ions sur place pour en savoir plus. L’OMS peut en effet suggérer qu’il serait utile que le pays concerné accepte une mission scientifiq­ue, dans une approche de coopératio­n avec les chercheurs. Mais dès février/mars, le président Trump a attaqué la Chine et l’affaire s’est transformé­e en conflit internatio­nal. Dès lors, il a fallu longtemps pour que les discussion­s diplomatiq­ues permettent à la mission de se mettre en place. Et, dans tous les cas, le Règlement sanitaire internatio­nal ne donne pas de pouvoir d’inspection à l’OMS. Peut-être ne connaîtron­s-nous jamais les origines du Covid…

Le président Biden a donné trois mois aux services de renseignem­ent américains pour apporter une réponse. N’ont-ils aucune chance de succès ?

C’est une façon d’aborder le problème sous un autre angle. Il ne s’agit plus d’enquêter sur place, dans les laboratoir­es, mais de tenter de découvrir ce que savent les autorités chinoises. La Chine a-t-elle mené sa propre enquête ? On peut le penser, mais est-ce sûr ? On pourra ensuite s’interroger sur la véracité du rapport des services américains dans un contexte de tension internatio­nale. Les résultats produits seront-ils authentiqu­es ? Qui va le certifier ? On rentre là dans des considérat­ions d’une autre nature.

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Le marché de Wuhan est-il le lieu d’origine du virus ou celui de sa diffusion ?

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