L'Express (France)

Macron ou l’optimisme béat, par François Bazin

A trop vouloir soigner les mots, plutôt que les maux, le président voit la crédibilit­é de son discours s’effriter.

- François Bazin essayiste et journalist­e spécialist­e de la politique.

Au printemps 2016, un an avant la fin de son mandat, François Hollande était allé à la télévision pour faire un constat

– « Ça va mieux » – qui avait suscité le sarcasme avant qu’on reconnaiss­e que, sur le plan économique, il n’était pas infondé, et que le cycle ouvert par la crise de 2008 était en effet en train de se refermer. Pour relancer la machine après de longs mois de confinemen­ts à répétition, Emmanuel Macron, au même stade de son quinquenna­t, délivre aujourd’hui un message identique.

Un ton très au-dessus, il est vrai, car, là où son prédécesse­ur employait les mots d’un convalesce­nt heureux de pouvoir faire à nouveau quelques pas dans sa chambre, l’actuel président embouche une trompette qui est aussi celle de sa renommée pour annoncer rien moins qu’une Renaissanc­e venant clore le long hiver d’un sombre Moyen-Age. Dans cet exercice d’optimisme retrouvé, Emmanuel Macron n’invente rien. Il ne se réinvente d’ailleurs même pas, lui qui au début de l’été dernier avait déjà cru deviner le « retour des jours heureux », avant de comprendre qu’il s’était avancé un peu vite. La question n’est pas ici de comparer les périodes et les styles. L’Histoire, et pas seulement en France, est remplie de ces gouvernant­s en mal de réélection qui, après un mandat chaotique, pensent regonfler leur moral avec celui de leurs concitoyen­s en repeignant la vie en rose, la prophétie autoréalis­atrice étant censée agir sur le comporteme­nt de l’électeur avec la même force que sur celui du consommate­ur. Quand ce dernier croit pouvoir se lâcher, on peut espérer qu’il cesse aussi de se fâcher. Sur cela se greffe, de manière tout aussi classique dans le grand répertoire de la politique, un discours d’essence antidéclin­iste dont les docteurs de l’opinion savent, depuis maintenant quelques décennies, qu’il est un des rares antidotes à cet état dépressif dont se nourrit le lepénisme ambiant.

La prophétie ne rend plus l’espoir, elle plombe

Voilà pour les mots. Ils pèsent sur les faits en ce sens qu’ils annoncent et encouragen­t à la fois. Ils ne suffisent pourtant pas à les modifier à eux seuls. C’est le risque d’une stratégie de pure communicat­ion qui peut se retourner contre elle-même pour peu que le « bout du tunnel » trop souvent annoncé soit un horizon qui recule chaque fois que l’on fait un nouveau pas en avant. Quand se réinstalle l’idée qu’on tente de soigner les mots plutôt que les maux, c’est la crédibilit­é du discours et de ceux qui le tiennent qui s’effondre un peu plus. La prophétie change alors de sens : elle ne rend plus l’espoir ; elle plombe ce qu’elle était censée entretenir. Pour le dire autrement, s’agissant de la Renaissanc­e façon Macron, celle-ci est comme l’amour qui ne vaut qu’à la condition d’être vérifié par des preuves quotidienn­es. Plutôt que d’être « en marche », il faut que désormais ça marche. Il n’est pas certain, de ce point de vue, que la panne des services d’urgence dans l’ensemble du pays au moment même où un président en précampagn­e entonnait l’Hymne à la joie dans un village de carte postale ait été le meilleur des symboles. Simple accident de parcours, sans doute, même si les esprits taquins et superstiti­eux, pour une fois réunis, noteront que François Hollande faisait pleuvoir chaque fois qu’il parlait d’importance, tandis qu’Emmanuel Macron, dans de pareilles circonstan­ces – entrée en campagne aujourd’hui, conclusion du grand débat post-gilets jaunes puis lancement de celui sur les retraites, hier –, double ses interventi­ons capitales de bugs et d’incendies en tous genres – Notre-Dame de Paris et Lubrizol, à Rouen.

Réconcilie­r le verbe et la réalité

Pour que ce quinquenna­t à explosion s’achève sur un feu d’artifice, il a donc urgence à réconcilie­r le verbe et la réalité, ou plutôt la perception qu’on peut avoir de celle-ci. Même si c’est moins glorieux que les discours sur le front des troupes, la mère des batailles propagandi­stes devient alors affaire de statistiqu­es. Churchill disait qu’il ne croyait que celles qu’il avait lui-même truquées. Il est en fait plus simple de les tordre en privilégia­nt sur tous les plans – croissance, emploi et même désormais vaccinatio­n – la tendance au niveau où le flux au stock, comme disent les économiste­s, à la manière de Nicolas Sarkozy en son temps qui, sur le chômage, vantait sans rire « la baisse de son augmentati­on », ou de François Hollande, dont « l’inversion » était devenue le maître mot. Dans ces conditions, le « ça va moins mal » peut devenir le « ça va mieux ». Traduit dans la langue performatr­ice de Macron, on dira que « ça va d’autant mieux » qu’on a frôlé le précipice et cette consolatio­n magnifiée devient ainsi à elle seule la démonstrat­ion d’un supposé succès.

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