Les ambitions mesurées d’Edouard Philippe
Prié d’accélérer le tempo par certains de ses amis, l’ex-Premier ministre avance à sa façon : lente. Et en prenant soin de ne fermer aucune porte.
Soudain, Edouard Philippe fit un pas en avant. Voilà le doux rêve de ceux qui le soutiennent. Que l’ancien Premier ministre se révèle un peu moins juppéien, un peu plus macronien. Qu’il cesse d’attendre que l’horizon se dégage et ose « provoquer son destin », comme le dit son copain socialiste Jérôme Guedj en riant tant il sent que rien de tout cela n’appartient au tempérament philippien. Non, jamais « Edouard » ne varie. « Il est sur sa ligne, il assure la promotion de son livre, il participe au débat d’idées et ne se mêle pas des questions électorales », fait-il déclarer par son entourage autorisé.
Pourtant, certains de ses alliés aimeraient le voir profiter des élections régionales pour prendre davantage position dans le débat politique. « Si une ou plusieurs régions passent au RN, il pourrait faire une déclaration le lendemain du second tour, dire qu’il prend ses responsabilités, présenter ses pistes pour le pays », envisage, naïf, un maire francilien. « Je ne veux pas tomber dans le commentaire », rétorque, placide, l’intéressé. L’appel du 28 juin et la prise de risque ne seront probablement pas pour 2021.
Sa formule finement taillée – « j’ai envie de servir mon pays, et de le faire à ma place, du mieux que je peux, en structurant des équipes le cas échéant, en organisant le débat, en essayant d’y contribuer » –, articulée len-te-ment dans l’émission télévisée Ça fait débat de TV7 Sud-Ouest, n’a pourtant pas échappé aux initiés. Si certains ne fermaient plus l’oeil de la nuit, assiégés par le doute – cette déclaration était-elle accidentelle ? – qu’ils se rassurent : « Il n’a pas dit ça par hasard », affirment les très proches de l’imperturbable ex-locataire de Matignon. Une espèce de minuscule pas en avant, en somme.
Mais c’est à peu près tout ce que concédera le prudent coauteur d’Impressions et lignes claires (JC Lattès). De son propre aveu, son tour de France des librairies pour dédicacer le livre écrit avec son comparse Gilles Boyer est aussi l’occasion d’une « introspection ». Et d’une maturation. Un jour à Nice, un autre à Paris, bientôt en Bretagne, Edouard Philippe flaire sa popularité à la façon d’un Nicolas Sarkozy bercé (et berné pendant la primaire de 2016) par les files d’attente s’étirant devant les librairies. Du 7 avril à début juin, 43 000 exemplaires ont été écoulés – on est loin des
chiffres de vente de l’ancien président, mais pour un livre de responsable politique sur l’art de gouverner, c’est un résultat très honorable. Philippe a aimé griffonner, raturer, retravailler ces pages ; sans doute aussi a-t-il aimé constater qu’une attente curieuse avait, dans le milieu médiaticopolitique, précédé la parution de ce drôle d’essai. Ainsi aurait-il d’ores et déjà décidé de se remettre à l’ouvrage. Il mijoterait, selon nos informations, un nouveau livre, plurithématique, qui pourrait ressembler à… un projet pour le pays ? « Il essaye de calibrer les grandes questions qui se posent à la France, les réponses qu’il faut y apporter », étaie un intime.
Il y a les idées, et il y a les hommes. L’ancien juppéiste profite également de ses étapes dans les villes de l’Hexagone pour « réactiver son réseau, ses amitiés », selon le même interlocuteur. Parfois, happé par cet agenda chargé, il oublie d’avertir un élu local, qui l’accompagne pourtant depuis le début, qu’il se trouvera à deux pas de chez lui pour une séance de signatures. « Il aurait pu m’envoyer un SMS », peste l’oublié. Mais qui pourrait lui en vouloir ? Philippe est sollicité de toute part – privilège de celui qui tergiverse.
Le 1er juin, lors d’une visioconférence de la République des maires – petit club de réflexion piloté par l’élu d’Angers Christophe Béchu –, les édiles ont été conviés à une réunion de rentrée fin septembre… au Havre, à l’invitation d’Edouard Philippe. S’ils sont nombreux à se réjouir de retrouver l’ex-Premier ministre, autant en attendent davantage. En politique comme dans la vie, cette satanée quête de sens rend les êtres exigeants. « Quelles sont ses intentions ? La campagne présidentielle démarre, il faut qu’Edouard nous dise si on la fait avec lui ou si on doit chercher un autre candidat… Pourquoi rester derrière lui s’il ne fait rien ? On attend la suite ! » cingle un élu LR.
Et puis, comment savoir si la belle popularité acquise depuis son départ ne volera pas en éclats le jour où il entrera dans l’atmosphère ? Pour l’heure, Edouard Philippe n’apparaît dans aucun sondage présidentiel. « L’idée, c’est de ne pas outrepasser notre rôle et de ne pas créer un effet
— Les ambitions mesurées
d’Edouard Philippe
— Médias, recrutement, réunions
secrètes... Eric Zemmour prépare 2022 politique par le seul fait de sonder », explique Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop. Pour ces raisons déontologiques, aucun institut de sondage ne devrait se risquer à tester la popularité de l’ancien chef du gouvernement tant que ses velléités pour 2022 demeurent aussi sibyllines.
A défaut d’une déclaration de candidature claire, seuls deux événements pourraient justifier qu’il intègre la liste des présidentiables testés : soit un appel lancé par plusieurs soutiens de poids, soit l’effondrement du candidat naturel de sa famille politique dans les enquêtes d’opinion – omprendre : Emmanuel Macron. Bref, « il suffira d’un signe », résume Jérôme Fourquet. Un signe que le maire du Havre ne semble pas près d’esquisser, malgré l’insistance de ses amis. « Le temps est venu de les mettre sur la table, ose l’un de ses camarades politiques. Contrairement aux fois précédentes, où les circonstances sont venues à lui, aujourd’hui, c’est à lui de les créer. »
Le 15 juin, Philippe sera enfin décoré de la médaille de grand officier de la Légion d’honneur à l’Elysée par le président de la République. Fin d’un feuilleton mêlant incompréhension et rendez-vous manqués, qui aura duré des mois. Edouard Philippe et Emmanuel Macron se retrouveront pour que le premier reçoive des mains du second la petite rosette sur galons blanc et or, à épingler au revers de la veste. Ensemble, ils échangeront des mots aimables, peut-être même une accolade. Puis le chef de l’Etat rejoindra son bureau élyséen, tandis que son ancien Premier ministre remontera en voiture afin de poursuivre son périple littéraire. Il aura mis un pied à l’Elysée. Mais toujours pas fait le moindre pas en avant. Au risque de lasser ?