Les Loups gris d’Erdogan dans le viseur européen
Le Parlement européen s’inquiète de ce mouvement ultranationaliste et recommande son inscription sur la liste des organisations terroristes.
Entre eux, ils se surnomment « les idéalistes » et se reconnaissent par un simple geste de la main : pouce, majeur et annulaire reliés, index et auriculaire levés. La gueule et les oreilles du loup. Dans la mythologie turque, l’animal est censé guider « le peuple élu » vers la liberté, le protégeant de ses ennemis. Les Loups gris, mouvement ultranationaliste, ont repris la légende à leur compte et promettent d’éliminer tous les « ennemis » de la Turquie – Arméniens, Kurdes, chrétiens ou juifs. Sur leur territoire, mais aussi en Europe. Les incidents se multiplient sur le continent. En juillet 2020, à Vienne (Autriche), les Loups gris ont attaqué des manifestants prokurdes avec des jets de pierres et des feux d’artifice. En octobre, la communauté arménienne française était visée par des agressions et des dégradations de mémoriaux du génocide de 1915. Les politiques européens qui dénoncent l’attitude agressive de la Turquie sur la scène internationale sont menacés de représailles.
Estimé à quelques dizaines de milliers, le nombre de ces activistes reste stable. Mais leur influence, elle, a explosé. « Ils terrorisent les minorités et ceux qui veulent lutter pour la démocratie, alerte Thomas Rammerstorfer, auteur autrichien de Loups gris : l’extrême droite turque et son influence en Allemagne et en Autriche (2018). Les exilés turcs n’osent plus s’impliquer en politique, manifester ou écrire dans les journaux par crainte de se faire tuer. La violence de ce groupe armé paralyse la démocratie, au sein même de l’Europe. »
Après l’interdiction du mouvement par la France en novembre, de nombreux députés allemands et autrichiens réclament des mesures similaires dans leur pays. Ils sont désormais rejoints par un allié de poids : le Parlement européen. Dans un rapport explosif adopté le 19 mai, ce dernier recommande pour la première fois que les Loups gris soient placés sur la liste des organisations terroristes et que les Etats membres interdisent les associations qui leur sont liées. « Pour le gouvernement turc, toute critique doit être écrasée, par tous les moyens, regrette Nacho Sanchez Amor, eurodéputé socialiste espagnol et auteur du rapport. Qu’une diaspora étrangère ait de l’influence en Europe est normal et légitime. Le problème est qu’une partie de cette diaspora agit politiquement selon des ordres venus directement d’Ankara. »
La diplomatie turque s’est insurgée contre cette décision, bien qu’elle continue de nier l’existence même de ce mouvement en Europe. « Ce rapport du Parlement européen est biaisé et intolérable », a protesté le ministère des Affaires étrangères, encouragé par le parti nationaliste MHP, soutien de Recep Tayyip Erdogan, qui accuse les eurodéputés « d’hypocrisie et de comportement antiturc ».
Et pour cause : s’attaquer aux Loups gris, c’est s’attaquer à une partie du gouvernement. Dans les années 1970, ils constituent la branche jeunesse du MHP qui affronte les syndicats et les étudiants de gauche lors de batailles rangées. Les heurts font parfois des dizaines de morts. En 1980, après un coup d’Etat militaire,
le MHP se retrouve interdit, et les Loups gris se lient avec les milieux de la pègre. A la faveur de la démocratisation de la Turquie, le MHP s’approche du pouvoir dès les années 1990. Il est aujourd’hui le troisième parti au Parlement turc et un allié indispensable du président Erdogang.
« Leur idéologie, fondée sur le nationalisme islamique, la haine des Kurdes et des Arméniens, imprègne la politique d’Erdogan et de son parti, l’AKP, explique Thomas Rammerstorfer. Les Loups gris sont devenus une véritable branche du gouvernement turc, ce qui rend l’équation insoluble pour l’Union européenne. Plusieurs hommes politiques turcs, membres de ce mouvement, viennent régulièrement en
Europe pour des visites diplomatiques. Certains ont même rencontré Angela Merkel ! » Tout cela sera fini si les Loups gris sont chassés d’Europe.
Mais cette interdiction n’aurait qu’une portée symbolique. « Ils n’ont pas de bureau ou de statut légal dans tous les Etats membres, confie un diplomate européen. Les placer sur la liste des organisations terroristes ne mettra pas fin à leurs activités, cela risque seulement de les faire basculer davantage dans la clandestinité et de compliquer leur surveillance. » En France, cinq mois après leur interdiction, les Loups gris ont de nouveau fait des dégâts début avril en attaquant un espace culturel de Lyon. Quatre personnes ont été blessées. Toutes issues de la communauté kurde. W