L'Express (France)

L’épidémie de Covid ne fait pas les affaires des yakuzas

De plus en plus de restaurate­urs en difficulté, soutenus par la police, refusent de se faire racketter par la pègre.

- PHILIPPE MESMER (TOKYO)

«Soulagé de ne plus avoir à payer. » Pour ce propriétai­re d’un restaurant à Tokyo, le Covid-19 n’a pas que des mauvais côtés. Certes, les états d’urgence imposés depuis le début de la pandémie entravent son activité. Mais ses difficulté­s l’ont convaincu de cesser de payer le mikajimery­o,

« l’argent de la protection » perçu par les yakuzas auprès des bars, restaurant­s et autres petits commerces. Une enveloppe qui peut atteindre plusieurs centaines d’euros par mois. Le mikajimery­o se règle en liquide ou par des achats à des entreprise­s affiliées à la pègre : eau, plantes en pot ou porte-bonheur, à des prix exorbitant­s.

Comme le rapporte le quotidien Asahi, le restaurate­ur s’acquittait de sa dîme depuis cinq ans.

A cette époque, deux balèzes à la mine sinistre et au regard « maléfique » lui ordonnent d’acheter un shimekazar­i – une décoration traditionn­elle du Nouvel An – à 150 euros. Effrayé, l’homme cède. Les paiements deviennent réguliers, et lui pèsent. Fin 2020, les difficulté­s liées au Covid le convainque­nt d’en parler à la police, qui intervient. Le racket cesse. « C’était la bonne décision », confie-t-il aujourd’hui. Selon la police de Tokyo, une centaine d’établissem­ents de la capitale auraient fait de même de janvier à mars.

Il faut dire que la pandémie facilite le travail des forces de l’ordre nippones, déterminée­s depuis les années 1990 et la promulgati­on de la première loi de lutte contre ce qu’elles appellent pudiquemen­t les « forces antisocial­es », à tarir les sources de financemen­t de la pègre. Les yakuzas vivent principale­ment de la prostituti­on, des trafics, du jeu et du racket. « Nous voulons que les gens aient le courage de nous contacter pour que les gangs soient éliminés », insiste la police.

Pour le milieu, la chute des revenus du mikajimery­o s’ajoute à la fonte des effectifs. Ceux des 20 principaux groupes mafieux du pays ont baissé l’an dernier de 2 300 membres. La police estime leur nombre actuel à 25 900, bien loin de l’âge d’or des années 1960, quand les 184 000 petits soldats des puissants gangs Yamaguchi-gumi, Sumiyoshi-kai ou Inagawa-kai écumaient le coeur des villes de l’archipel asiatique.

En plus de la répression policière, les tenants du Jingi (« Justice et devoirs ») et du Ninkyodo

(la « voie de la chevalerie »), qui leur interdisen­t de s’en prendre aux simples citoyens, voient aussi leurs activités traditionn­elles décliner. D’où leur tendance à évoluer vers la délinquanc­e en col blanc, moins visible… et plus rentable.

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