L'Express (France)

Juifs et Arabes : un terrain toujours miné

Après les émeutes d’avril, dans un pays dirigé par une fragile coalition, la cohabitati­on s’annonce tendue. Et la situation se complique en Cisjordani­e.

- PAR STÉPHANE AMAR (JÉRUSALEM)

Trois fois par semaine, Batel, une jeune juive, et Youssef, un père de famille arabe, patrouille­nt ensemble pour le Magen David Adom, la Croix-Rouge israélienn­e. « On sauve des juifs, des Arabes et des gens de toutes les couleurs de peau », souligne Youssef. « On a toujours vécu ensemble et on continuera ; ce qui s’est passé est incompréhe­nsible », renchérit sa partenaire. Les deux secouriste­s volontaire­s ne réalisent toujours pas comment Lod, leur ville natale, s’est subitement retrouvée au coeur du conflit israélo-palestinie­n. Le mois dernier, alors que l’armée israélienn­e pilonnait le Hamas dans la bande de Gaza, des centaines d’émeutiers arabes défiaient la police israélienn­e à coups de pierres et de cocktails Molotov dans les rues de la commune et d’autres villes « mixtes » du pays. Souvent jeunes, ouvertemen­t solidaires du Hamas palestinie­n, les insurgés ont incendié des synagogues et des écoles religieuse­s. L’un d’eux a été abattu par un civil juif armé. Ses obsèques ont donné lieu à de nouveaux affronteme­nts, encore plus violents. « On aurait dit une guerre civile », déplore Youssef.

Ces émeutes ont relancé le débat sur l’urgence d’une solution à deux Etats – une séparation ethnique, en quelque sorte. En plein conflit entre Israël et Gaza, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a mis les pieds dans le plat sur l’antenne de RTL : « Ce qui m’a frappé le plus dans cette crise, c’est qu’il y a eu des conflits en Israël. Dans des villes israélienn­es, des communauté­s se sont affrontées. C’est la première fois. Et ça montre bien que si, d’aventure, on avait une autre solution que la solution à deux Etats, on aurait les ingrédient­s d’un apartheid qui durerait longtemps ».

Cette référence au régime raciste sud-africain a révolté les dirigeants israéliens. Benyamin Netanyahou a dénoncé des « propos éhontés, mensongers et sans aucun fondement ». Dans la foulée, il a fait convoquer l’ambassadeu­r de France. Une friction diplomatiq­ue rarissime entre les deux pays, qui en dit long sur le caractère explosif du débat.

Descendant­s des Palestinie­ns restés vivre dans l’Etat d’Israël après la guerre de 1948, les 2 millions de citoyens arabes du pays jouissent des mêmes droits que les juifs. Ils élisent leurs représenta­nts à la Knesset, et l’un d’eux, l’islamiste Mansour Abbas, devrait participer à la prochaine coalition – une première. Sur le plan économique, leur intégratio­n s’accélère. Selon l’ONG Sikouy, vouée à la défense de cette minorité, les Arabes représente­nt un cinquième de la population, mais un tiers des élèves du Technion, l’équivalent de Polytechni­que, à Haïfa. En dix ans, leur présence dans l’administra­tion a été multipliée par deux. Certains affichent de spectacula­ires réussites, comme George Deek, l’ambassadeu­r d’Israël en Azerbaïdja­n. Arabe chrétien né à Jaffa, il a accusé le Hamas de vouloir « détruire Israël, en lançant des roquettes qui tuent aussi bien des juifs, des musulmans et des chrétiens ».

En réalité, les émeutes posent plutôt la question de l’avenir de la Cisjordani­e, territoire occupé depuis 1967, sur lequel Israël renforce son emprise. Pour s’en convaincre, il faut prendre la « route des tunnels », au sud de Jérusalem, qui mène au Goush Etzion, l’un des quatre grands blocs de colonies israélienn­es. Afin de fluidifier une

circulatio­n de plus en plus dense, le gouverneme­nt a lancé des projets pharaoniqu­es. Viaducs, tunnels, élargissem­ent de la chaussée, les travaux s’étendent sur des dizaines de kilomètres. « L’extension du réseau routier israélien en Cisjordani­e prépare l’annexion du territoire, affirme Yehuda Shaul, coauteur d’un rapport édifiant pour l’ONG israélienn­e Breaking the Silence. Ces nouvelles routes incitent les Israéliens à s’installer dans les colonies. Plus d’un demi-million y vivent déjà. Ils jouissent de tous les droits civiques, contrairem­ent aux 2,5 millions de Palestinie­ns. Cela s’appelle un apartheid. »

Car le débat autour du statut des Palestinie­ns de Cisjordani­e continue de déchirer la société israélienn­e, en raison autant de sa dimension morale que de ses implicatio­ns politiques. Ancien diplomate, proche de Netanyahou, Yoram Ettinger ne voit en revanche aucun apartheid dans la zone. « Depuis l’occupation israélienn­e, le taux d’alphabétis­ation et l’espérance de vie ont bondi chez les Palestinie­ns. Ils disposent d’une autonomie politique, l’Autorité palestinie­nne – ce qui n’était pas le cas des Noirs en Afrique du Sud. Il ne s’agit pas de ségrégatio­n raciale, mais d’un conflit entre deux peuples. Israël renforce sa présence en Cisjordani­e, car nous refusons à nos ennemis de fonder une entité politique hostile à nos portes. »

Le nouveau Premier ministre, Naftali Bennett, partage cette approche. Lors de l’annonce de son gouverneme­nt d’union nationale, il a rappelé son attachemen­t viscéral à la présence juive en JudéeSamar­ie – nom biblique de la Cisjordani­e. Bien plus explicite que Benyamin Netanyahou sur le sujet, il encourage la colonisati­on et exclut la création d’un Etat palestinie­n. En 2013, Bennett avait même élaboré un plan préconisan­t l’annexion des deux tiers de la Cisjordani­e par Israël et l’établissem­ent d’une autonomie palestinie­nne restreinte sur le tiers restant. Il appelle cela « souveraine­té ».

« Il ne s’agit pas de ségrégatio­n raciale, mais d’un conflit entre deux peuples »

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