Les islamistes à la conquête du Parlement
Le boycott des législatives par les partis démocrates et la faiblesse des formations « historiques » ouvrent une autoroute aux conservateurs. Verdict le 12 juin.
Les internautes algériens les appellent les « candidates sans visage ». Sur les affiches de campagne bigarrées et à moitié déchirées qui tapissent les murs d’Alger, à l’approche des élections législatives du 12 juin, plusieurs partis présentent des femmes sans photo, toutes figurées par le même dessin stylisé – ovale blanc coiffé d’un voile noir. Il n’en fallait pas plus pour déclencher sur les réseaux sociaux une polémique sur « l’emprise des islamistes » dans la politique algérienne.
De fait, leur ascension paraît inéluctable : sur les 28 partis en lice, une quinzaine appartient à cette mouvance. Autre tendance forte : la plupart des 837 candidats indépendants (un record) sont traditionalistes. « Sauf surprise, le scrutin devrait donc consacrer un Parlement fortement conservateur, porté par une nébuleuse de partis islamistes, dont les deux plus importants sont le Mouvement de la société pour la paix [MSP, issu des Frères musulmans] et El-Bina [“L’Edification”, une formation dissidente du MSP] », analyse le politologue algérien Cherif Dris.
Un tel scénario serait inédit dans ce pays encore meurtri par la « décennie noire » – une guerre civile déclenchée, en 1991, par l’annulation des élections législatives après un premier tour favorable au Front islamique du salut (FIS). Trente ans plus tard, les islamistes ne semblent plus inquiéter le pouvoir. « Cet islam politique-là ne me gêne pas, parce qu’il n’est pas au-dessus des lois de la République, qui s’appliqueront à la lettre », a récemment déclaré le président algérien, Abdelmadjid Tebboune. Il est vrai que les ambitions affichées par cette mouvance n’ont pas grand-chose à voir avec « l’Etat théocratique islamique » promu par le FIS dans les années 1990. Le MSP, qui s’imagine déjà membre d’un « gouvernement d’union sous le haut patronage du président », s’en tient d’ailleurs à un programme assez vague – et surtout très consensuel : développer une économie moins dépendante de la rente pétrolière, investir fortement dans l’éducation, lutter contre la corruption...
A sa droite, les populistes d’El-Bina comptent également tirer profit de la conjoncture. Connu pour ses saillies folkloriques, leur chef, Abdelkader Bengrina, est arrivé deuxième derrière Abdelmadjid Tebboune à l’élection présidentielle de décembre 2019. Cet ancien ministre a notamment promis le baccalauréat d’office à quiconque apprendrait le Coran en entier. Il multiplie aussi les sorties contre les « ennemis de l’Algérie » et vient d’appeler à « fermer toutes les écoles privées francophones » du pays.
Si ces deux formations percent le 12 juin, elles devront avant tout leur succès à un grand vide politique. La chute, en avril 2019, du président Bouteflika, après la vaste mobilisation populaire du Hirak, a bouleversé une configuration jusqu’alors saturée par le FLN – le parti dominant historique depuis l’indépendance – et ses alliés. Les islamistes profitent également de l’absence des mouvements progressistes d’opposition. Face au durcissement de la répression, ces derniers considèrent que les conditions d’un scrutin honnête et transparent ne sont pas réunies et ont décidé de le boycotter. Ni le Rassemblement pour la culture et la démocratie (laïque), ni le Parti des travailleurs (trotskiste), ni même la plus ancienne formation d’opposition, le Front des forces socialistes, ne participeront à l’élection. Mais avaient-ils une chance de changer la donne ? « En dehors de la Kabylie et des grandes villes, leur base reste limitée », précise l’analyste Cherif Dris.
« Contrairement aux laïques, les partis islamistes sont les seuls à pouvoir se prévaloir d’un socle électoral, renchérit Youssef, un Algérois favorable au MSP. L’obtention d’une majorité ne ferait que refléter une réalité sociale. » En l’occurrence, celle d’une société conservatrice, attachée aux valeurs traditionnelles de la famille et de la religion. S’il se confirme dans les urnes, le succès des islamistes risque toutefois d’être relatif car la participation s’annonce faible. Au référendum constitutionnel de novembre 2020, seuls 2 Algériens sur 10 étaient allés voter.