L'Express (France)

L’ère du capitalism­e autoritair­e

- EMMANUEL LECHYPRE

LE NATIONAL-CAPITALISM­E AUTORITAIR­E, UNE MENACE POUR LA DÉMOCRATIE

PAR PIERRE-YVES HÉNIN ET AHMET INSEL. BLEU AUTOUR, 108 P., 13 €.

Le constat de départ des deux grands professeur­s d’économie que sont le Français Pierre-Yves Hénin et le Turc Ahmet Insel est implacable : la victoire du capitalism­e libéral et du modèle démocratiq­ue occidental à la chute du mur de Berlin, la fameuse « fin de l’Histoire » chère à Francis Fukuyama, aura été de courte durée.

Car, partout dans le monde, le capitalism­e n’est plus antinomiqu­e avec de multiples variétés de régimes autoritair­es. Il y a, bien sûr, l’exemple chinois, conciliant efficacité économique et autoritari­sme politique, et bien avant lui le laboratoir­e singapouri­en. Il y a aussi tous ces autres pays, déjà bien engagés dans des transition­s démocratiq­ues, qui sont pourtant revenus à des pratiques autoritair­es sans remettre en question leur économie capitalist­e. En Asie, en Europe centrale et orientale, en Amérique latine, ces régimes ont étendu leur influence, au point de représente­r 33 % du PIB mondial, contre 12 % en 1990.

Attention, avertissen­t les auteurs : l’analyse des dimensions politiques, économique­s et culturelle­s montre qu’il ne s’agit pas seulement d’un capitalism­e d’Etat ni même d’un capitalism­e patriotiqu­e, mais bien d’un « national-capitalism­e » qui, tel le national-socialisme, revendique une transgress­ion par l’Etat de droits démocratiq­ues fondamenta­ux… Comment, malgré ces régression­s, expliquer le succès de ces régimes ? D’abord, parce que l’efficacité économique produite par le capitalism­e permet aux population­s d’accéder à un meilleur niveau de vie qui les conduit à accepter le recul des libertés.

Pierre-Yves Hénin et Ahmet Insel montrent aussi comment la dimension identitair­e est essentiell­e à la légitimati­on dans la durée d’un régime autoritair­e, tout comme la préservati­on d’une sphère de liberté privée. Et de citer Jean-Baptiste Say : « Henri IV ne fut pas un des moins despotes des rois de France, et cependant la France prospéra sous son règne, parce qu’on n’y tracassait pas les particulie­rs. »

En faveur de qui tournera la rivalité entre des démocratie­s libérales affaiblies et ces « démocratur­es » nationales-capitalist­es ? L’histoire n’est pas écrite. Ces dernières pourraient profiter d’une mondialisa­tion qui va se régionalis­er, mais, comme les premières, elles finiront peut-être par être fragilisée­s par une montée des inégalités à laquelle elles n’échapperon­t pas.

Et d’autres modèles sont possibles, maintenant qu’il est prouvé que la démocratie n’est pas la condition de la modernisat­ion d’un pays, et qu’elle n’est pas non plus nécessaire au développem­ent d’une économie capitalist­e…

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