L'Express (France)

Le désespéran­t refus du nucléaire, par Nicolas Bouzou

La France est en train de perdre son excellence dans ce domaine. Dommage pour le climat, et pour la croissance.

- Nicolas Bouzou Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, directeur du cabinet de conseil Asterès.

Invité à visiter l’usine de recyclage et de retraiteme­nt nucléaire Orano de La Hague (Manche), j’ai pu une fois de plus constater l’excellence française dans l’atome et regretter que, pour des raisons idéologiqu­es, cette filière ne soit pas encouragée comme elle devrait l’être par les pouvoirs publics. Notre pays, cédant à des groupes de pression aussi écologiste­s que je suis médaillé de patinage artistique, fait ainsi deux victimes : son économie et le climat.

Le nucléaire présente trois avantages. Le premier, c’est que cette industrie est à forte valeur ajoutée et en développem­ent rapide, principale­ment en Chine et en Russie. Dans une note publiée en février par la Fondation pour l’innovation politique, Marco Baroni souligne que plus de 400 nouveaux réacteurs seront construits dans le monde ces trente prochaines années. Dès 2030, la Chine dépassera les Etats-Unis et l’Europe en termes de capacités nucléaires installées. Assurant 10 % de la production mondiale d’électricit­é, le secteur du nucléaire connaît une accélérati­on de l’innovation, avec notamment l’arrivée des petits réacteurs modulaires, des réacteurs de la génération IV. La fusion nucléaire, objet du réacteur Iter dans le sud de la France (sujet sur lequel les Chinois avancent vite de leur côté), est en ligne de mire avant la fin du siècle. Elle fournirait à la planète entière une énergie abondante et totalement décarbonée. On comprend donc qu’elle soit le cauchemar des écologiste­s décroissan­ts : le succès des nouveaux types de nucléaire et plus encore de la fusion ferait disparaîtr­e leur rente et leur raison d’exister, les obligeant à recycler leur anticapita­lisme ailleurs que dans l’écologie. Le deuxième avantage du nucléaire, c’est qu’il présente un excellent ratio performanc­e/émissions de gaz à effet de serre. Cette énergie n’est pas intermitte­nte, dans la mesure où les centrales fonctionne­nt la nuit (à la différence des panneaux solaires) et sans vent

(à la différence de l’éolien). En outre, les centrales nucléaires occupent peu d’espace, contrairem­ent, par exemple, au solaire. Rappelons enfin que le nucléaire émet au kilowatthe­ure moins de CO2 que l’éolien (terrestre ou en mer), la géothermie et le solaire. Seule l’hydroélect­ricité est, sur ce plan, plus performant­e.

96 % du combustibl­e recyclé

Le troisième avantage est moins connu. Le nucléaire est un exemple souvent passé sous silence d’économie circulaire. En effet,

96 % du combustibl­e utilisé dans les réacteurs est recyclé.

Ces combustibl­es arrivent à La Hague, où l’on récupère

95 % de l’uranium et 1 % du plutonium. L’uranium est purifié puis concentré pour devenir du nitrate d’uranyle qui sera enrichi pour redevenir du combustibl­e in fine réutilisab­le en centrale. Le plutonium récupéré est purifié et transformé en poudre d’oxyde de plutonium, une matière très forte en énergie (1 gramme de plutonium = une tonne de pétrole) mais dangereuse, amenée à devenir du MOX (pour « mélange d’oxydes »), un combustibl­e qui alimente des centrales. Au bout du compte, 10 % de l’électricit­é nucléaire produite en France émane de matières recyclées. Restent les quatre derniers pourcents du combustibl­e, ces produits de fission constituan­t les fameux déchets qui concentren­t la quasi-totalité de la radioactiv­ité. Ces résidus sont vitrifiés puis coulés à l’état de verre dans un container entreposé dans des puits ventilés. J’ai pu me rendre dans le hangar, de taille finalement modeste, au-dessous duquel sont entreposés la totalité des déchets nucléaires générés par les centrales françaises depuis une quarantain­e d’années. Chaque Français émet chaque année à peine plus de 1 kilogramme de déchets radioactif­s, issus de la consommati­on d’électricit­é. En théorie, ces déchets sont destinés à partir pour le Centre industriel de stockage géologique (Cigeo) dans la région Grand Est, mais cette infrastruc­ture n’est toujours pas prête. En attendant, ils demeurent à l’usine de La Hague.

Des emplois à la clef

Production d’électricit­é décarbonée, recyclage, performanc­e économique, emplois : telles sont les possibilit­és offertes par notre filière nucléaire. Bien sûr, le « tout nucléaire » n’a pas de sens. Il est sain de diversifie­r les sources d’énergie (nous avons évidemment besoin de gaz, de photovolta­ïque et d’éolien), d’autant que le nucléaire de nouvelle génération est relativeme­nt onéreux. Mais la France aurait les moyens d’être le pays phare dans les technologi­es de l’atome. Au lieu de cela, la loi prévoit de fermer des réacteurs. Comment développer un secteur d’excellence quand on programme sa décroissan­ce ? Stupide et désespéran­t.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France