La Nasa entre dans l’ère Biden, par Stefan Barensky
Le budget de la nouvelle administration offre à l’Agence spatiale américaine une latitude financière inédite.
Avec quatre mois de retard sur le calendrier, le gouvernement américain a enfin accouché d’un projet de budget pour l’année fiscale 2022, qui débutera le 1er octobre. Normalement, il aurait dû être étudié en profondeur depuis février, et les commissions du Congrès devraient être en train d’y travailler depuis la mi-mai. Lorsque le pouvoir change de main à la Maison-Blanche, il faut généralement s’attendre à des délais rallongés, mais l’administration Biden vient de battre un record de lenteur précédemment détenu par la première administration Obama.
La part de ce budget consacré à la Nasa répond enfin à la question qui taraude le monde aéronautique depuis novembre : Joe Biden va-t-il sacrifier les rêves lunaires de Donald Trump d’un retour sur la Lune au profit de la lutte contre le changement climatique ? La réponse est clairement non. Mieux, le nouveau président a décidé de poursuivre les deux desseins, quitte à ouvrir les vannes des finances. Ainsi, le budget de l’agence passe de 23,3 à 24,8 milliards de dollars.
La communauté des spécialistes de l’observation de la Terre, et, plus largement, l’ensemble des scientifiques peuvent pousser un soupir de soulagement. Avec près de 8 milliards de dollars consacrés à leurs programmes – dont 2,25 milliards aux sciences de la Terre –, il s’agit ni plus ni moins du budget le plus ambitieux jamais proposé. Un appel d’air qui contraste avec les quatre années précédentes où il avait fallu batailler pour sauver des programmes sans cesse amputés par l’administration Trump puis quasi systématiquement rétablis par le Congrès. Ce fut le cas pour les missions Pace et Clarreo Pathfinder, toutes deux conçues pour l’étude du climat. Désormais, elles sont hors de danger, tout comme le futur télescope spatial infrarouge Nancy-Grace-Roman consacré à la matière noire et aux exoplanètes (500 millions de dollars par an). Il y a mieux. Après quatre ans de lutte pour la survie de ses programmes pour le climat, la Nasa n’avait pas pu en entreprendre de nouveaux. En 2022, elle va développer une famille de petits satellites destinés à surveiller des variables essentielles du changement climatique (vents, gaz à effets de serre, épaisseur des glaces, surface des océans, ozone, neige, écosystèmes). Un premier appel à proposition pour ces satellites Earth System Explorers sera lancé dès la fin de l’année.
L’objectif Lune toujours d’actualité
Enfin, dernière bonne nouvelle, le programme lunaire n’a pas pâti de ces arbitrages financiers. En 2021, le Congrès avait refusé la multiplication par 3 du budget alloué aux nouveaux développements pour l’exploration habitée de notre petit satellite naturel ; l’administration Biden a décidé de soutenir l’effort. Certes, les 2,2 milliards de dollars demandés l’an dernier ne seront pas rétablis, mais un doublement de l’effort est envisagé sur cinq ans. Notons que la moitié de cette somme ira au HLS (Human Landing System), le vaisseau qui doit ramener les astronautes américains sur la Lune. En avril, la sélection de SpaceX comme seul fournisseur du HLS avait suscité un tollé. La patronne du programme, Kathy Lueders, avait prétexté la réduction du budget disponible. Les concurrents écartés, dont Blue Origin, la société de Jeff Bezos, rival d’Elon Musk, ont porté l’affaire devant le GAO (Government Accountability Office), la Cour des comptes américaine, en rappelant que la Nasa devait sélectionner deux fournisseurs et non accorder un monopole. Le contrat de SpaceX est donc suspendu.
Se maintenir dans la course devant la Chine
Certes, le nouveau budget est plus généreux, mais pas assez pour financer une seconde version de HLS. Toutefois, de l’argent pourrait provenir d’autres sources. Le 12 mai, un projet de loi a été déposé par deux sénateurs, le démocrate Chuck Schumer et le républicain Todd Young, pour débloquer la bagatelle de 110 milliards de dollars sur cinq ans afin de développer des technologies essentielles
– et l’industrie pour les produire et les commercialiser – dans l’objectif de maintenir les Etats-Unis dans la course devant la Chine. Sur cette somme, 10,9 milliards financeraient le HLS de Blue Origin, ce qu’a vertement dénoncé Bernie Sanders, qui ne cache pas son inimitié pour Jeff Bezos. Les fans d’Elon Musk n’ont pas hésité non plus à inonder les réseaux sociaux de commentaires acerbes sur « l’argent distribué au milliardaire ».
Pour les Européens, partenaires de la Nasa aussi bien pour l’observation de la Terre que pour l’exploration de la Lune, ce budget volontariste est très positif, d’autant qu’il assure aussi le financement de la mission conjointe euro-américaine pour le retour d’échantillons martiens dans laquelle ils joueront un rôle essentiel.