L'Express (France)

Quand les banques veulent être plus que des banques

Pour augmenter leurs revenus, des établissem­ents misent de plus en plus sur la diversific­ation. Un pari gagnant ?

- RAPHAËL BLOCH

Le campus strasbourg­eois du Crédit mutuel est en ébullition. Depuis quelques jours, l’équipe locale de développeu­rs met l’ultime touche à un projet censé ouvrir de nouveaux horizons au groupe bancaire : une « place de marché », sur le modèle de celle d’un géant comme Amazon. Rien que ça ! Avec son « kiosque à services », le Crédit mutuel ne risque pas de faire beaucoup d’ombre au groupe de Jeff Bezos, mais l’idée est clairement

d’offrir plus de possibilit­és à ses clients en se diversifia­nt dans le logement et l’énergie au travers de différents partenaria­ts. « Il faut que l’on élargisse notre offre », confie Daniel Baal, directeur général du Crédit m utuel, qui n’exclut pas de mettre rapidement en avant des services supplément­aires.

Le lancement de cette plateforme, attendue pour cet été, n’a rien d’un hasard. A l’image des autres établissem­ents, le Crédit mutuel sait que ses revenus sont pris en étau entre les exigences tarifaires des clients, la concurrenc­e sans cesse plus forte de nouveaux acteurs comme les fintech et les Gafam, et un contexte économique compliqué : bloqués au plancher, les taux ne permettent plus aux banques de faire suffisamme­nt de marge là où elles en ont historique­ment toujours fait beaucoup, à savoir sur les crédits immobilier­s. Résultat, pour se maintenir au-dessus de la ligne de flottaison, elles ne peuvent pas se contenter de réduire les coûts en fermant des agences. Il faut qu’elles trouvent aussi des sources de gains. « C’est le sens de l’Histoire », confirme Julien Maldonato, associé au cabinet Deloitte.

Les banquiers n’ont évidemment pas attendu 2021 pour défricher de nouveaux horizons. Outre des produits d’assurance en tout genre dans l’automobile, la santé ou l’habitation, le Crédit mutuel évolue, depuis des années, dans la téléphonie en proposant des forfaits et des smartphone­s… L’offre d’abonnement téléphoniq­ue a déjà séduit 2,3 millions de clients, selon l’établissem­ent, qui touche une commission sur les contrats. Interrogé, le Crédit mutuel n’a pas souhaité révéler combien cette activité lui rapportait. Mais l’idée est, cette fois-ci, de franchir un palier. Une approche d’ailleurs partagée par ses concurrent­s. Qui n’ont pas tous misé sur les mêmes créneaux.

Les revenus sont limités par les exigences tarifaires des clients et la concurrenc­e des Gafam

Du côté des Banques populaires et des Caisses d’épargne (groupe BPCE), ce sont plutôt les thématique­s liées à l’environnem­ent et à la santé qui sont privilégié­es. « Nous multiplion­s les partenaria­ts dans ces secteurs », reconnaît Christine Fabresse, directrice générale en charge de la banque de proximité et assurance. BPCE travaille, entre autres, avec Cozynergy, société d’expertise en rénovation énergétiqu­e. En plus d’avoir investi dans cette start-up, le groupe propose actuelleme­nt les services de la jeune pousse dans son espace client. « Nos clients peuvent faire un diagnostic énergétiqu­e global de leur logement », indique Christine Fabresse.

Au Crédit agricole, on met l’accent sur les services liés à la télésurvei­llance et à la téléassist­ance… Le groupe dispose même de sa propre filiale en la matière : Nexecur. « C’est un vrai succès », se félicite Michel Ganzin, directeur général adjoint du Crédit agricole. Les personnes qui ont souscrit à l’offre – plus d'une centaine de milliers – payent en moyenne quelques dizaines d’euros par mois pour sécuriser leur logement.

Combien pèsent ces offres inédites dans les revenus ? Pour l’instant, pas grand-chose. Alors que le produit net bancaire des banques – leur chiffre d’affaires – atteint des milliards d’euros, voire des dizaines de milliards d’euros pour certaines, les produits hors cadre ne sont estimés qu’à quelques dizaines ou centaines de millions d’euros. « La grande majorité de nos revenus provient évidemment toujours de l’univers de la banque et de l'assurance », confirme Daniel Baal.

Pour encore longtemps ? C’est la question qui agite le secteur. « Avec ces services, nous sommes en train de bâtir de nouvelles sources de revenus qui porteront leurs fruits dans les années à venir », veut croire Michel Ganzin, en notant l’impact « vertueux » de cette politique. Etoffer l’offre permet de s’attacher une clientèle et d’augmenter les « ventes croisées », ces opérations au cours desquelles la vente d’un produit immobilier, ou autre, peut déboucher sur celle d’un produit bancaire. Et vice-versa. « C’est tout l’intérêt de ce système. En fidélisant leurs clients, les banques génèrent plus de revenus », ajoute Julien Maldonato.

De fait, les marges de progressio­n des banques dans le domaine sont considérab­les. Entre les prêts, les produits d’épargne et les assurances, « elles vendent en moyenne six à sept produits par client », constate Mark Bennett, responsabl­e des services financiers chez Alvarez et Marsal. Un niveau qui peut encore être augmenté, notamment grâce à l’exploitati­on des données. « Même anonymisée­s, elles constituen­t une mine d’informatio­ns. Vous savez potentiell­ement ce que consomment vos clients et donc ce dont ils peuvent avoir besoin », explique Benoit Gruet, patron de

CDLK Services, une fintech spécialisé­e dans l’analyse des données, le marketing et les paiements. Avec le consenteme­nt des clients, le champ des possibles est infini : une banque qui a vendu un crédit immobilier peut fournir le déménageur, l’énergétici­en, l’opérateur téléphoniq­ue… Idem sur les voyages ou les modes de vie, avec des sollicitat­ions pour des concerts, des sorties. « On peut tout imaginer », poursuit Benoit Gruet. Et même tout distribuer ?

Si certaines banques vont très loin dans cette dynamique, comme l’espagnole Santander, qui a lancé une place de marché assez large – où l'on trouve même des produits high-tech –, la plupart d'entre elles veulent conserver leur identité. « C’est très important de se diversifie­r », reconnaît Cédric Curtil, directeur de la stratégie et de l’innovation de la Société générale. Mais pas dans n’importe quelles conditions. Le risque existe de perdre sur tous les tableaux. « Gardons à l'esprit la finalité des produits bancaires que les clients viennent chercher », rappelle-t-il. « Il faut développer une constellat­ion de services qui soit cohérente », abonde Christine Fabresse.

Reste la réalité du marché. Face aux nouveaux arrivants, les banques aurontelle­s réellement le choix de se limiter à leur périmètre actuel ? « Elles ont déjà fait du chemin », précise Thomas Rocafull, associé chez Sia Partners. Le problème pour elles, c’est que d’autres entreprise­s comme les fintech et les mastodonte­s de la tech avancent aussi très vite. « Davantage que les taux bas et la pression sur les tarifs, ce sont Apple et les autres géants qui constituen­t la vraie menace », révèle Benoit Gruet. En déployant autant de services qu’ils le font aujourd’hui, les Big Tech pourraient assez vite évincer les banques de la relation client. « Il y a un vrai défi à ce niveau-là », souligne Mark Bennett. Surtout si les nababs de la tech décidaient de promouvoir des produits bancaires.

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