L'Express (France)

Les idées : la richesse des nations

- FRANÇOIS ROCHE

BETTERING HUMANOMICS PAR DEIRDRE NANSEN MCCLOSKEY. THE UNIVERSITY OF CHICAGO PRESS, 144 P., 22,70 €. Deirdre McCloskey n’est pas l’économiste américaine la plus connue en France. Et pourtant son apport à l’économie est considérab­le, à travers au moins une dizaine d’ouvrages, dont une trilogie fameuse, jamais traduite en français, consacrée à la « bourgeoisi­e »*.

Professeur­e émérite dans pas moins de six discipline­s à l’université de Chicago (dont les sciences économique­s, l’histoire, l’anglais et la communicat­ion), Deirdre McCloskey est une exploratri­ce sans égale de l’histoire de l’économie. « Dans tout mon travail de recherche, j’ai cherché la réponse à la question posée par Adam Smith sur la nature et la cause de la richesse des nations », expliquait-elle en janvier 2020, lors d’une conférence donnée à l’université du Colorado. La science économique a pourtant déjà largement répondu à cette question, depuis Adam Smith lui-même jusqu’à Thomas Piketty en passant par Karl Marx : ce qui explique le grand enrichisse­ment des nations depuis le xviiie siècle, c’est l’accumulati­on du capital.

Dans son nouveau livre, Bettering Humanomics, Deirdre McCloskey propose une autre réponse : ce qui crée la richesse des nations, ce sont les idées, « la matière noire de l’Histoire », selon ses propres termes. Ce qui compte, ce n’est pas tant l’argent dont disposent les agents économique­s que nous sommes tous que ce que nous avons dans la tête. Certes, le développem­ent du commerce, l’accumulati­on de capital et de travail, le progrès technique, le respect de la propriété privée expliquent pour une part pourquoi les Etats se sont enrichis au cours des deux derniers siècles, ce dont convient naturellem­ent Deirdre McCloskey, mais cela ne répond pas de façon tout à fait satisfaisa­nte à la question d’Adam Smith, selon elle. Si l’Angleterre et les Pays-Bas se sont enrichis à ce point au tournant du xviie siècle, c’est aussi parce que la classe des marchands a cherché à se libérer d’une hiérarchie sociale qui tenait les commerçant­s, les « bourgeois », en piètre estime et qu’elle a voulu prouver qu’elle méritait la liberté politique.

La science économique devrait donc faire une part plus large non pas tant à l’évolution du comporteme­nt des individus, mais à la façon dont évolue leur référentie­l idéologiqu­e et philosophi­que. Deirdre McCloskey n’est d’ailleurs pas tendre avec un certain nombre de ses collègues économiste­s, qu’ils se baptisent « néoinstitu­tionnalist­es » ou « néobéhavio­ristes », lesquels considèren­t les agents économique­s comme des enfants dont il faut étudier les agissement­s et qu’il est bon de « récompense­r » de temps en temps. « Ces nouvelles modes reposent sur des bases théoriques douteuses et sont peu fondées », écrit-elle. Les économiste­s doivent être sérieux sur le plan quantitati­f mais aussi qualitatif, explorer cet immense champ des sciences humaines et de l’éthique, et ne pas se contenter de chercher leurs clefs sous le lampadaire.

* Bourgeois Dignity (2006), Bourgeois Equality (2010), The Bourgeois Virtues (2016)

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