Plongée au coeur de l’armée de l’ombre d’Apple
Derrière l’App Store et toutes ses applications se cachent des millions de développeurs.
Acette heure avancée de la journée, Station F est presque vide. La plupart des startupers de l’incubateur parisien situé dans le XIIIe arrondissement ont quitté les lieux. Lunettes vissées sur le nez, Pierre Stanislas, le cofondateur de Wilov, application spécialisée dans l’assurance, est encore sur le pont. Pour lui, c’est même une seconde journée qui commence avec le démarrage, à 9 000 kilomètres de là, en Californie, de la conférence WWDC21, la grand-messe des développeurs d’Apple. « C’est le moment le plus important de l’année pour nous », sourit-il. Pendant plusieurs jours, le géant américain va présenter les nouvelles fonctionnalités de l’App Store, son magasin d’applications en ligne.
Si Pierre Stanislas suit avec autant d’attention la conférence du géant américain, c’est que Wilov, qui propose une assurance auto en fonction des kilomètres parcourus, fait partie de la galaxie des applications de l’App Store. La start-up dispose aussi d’une application sur Android (Google), mais celle sur iOS (Apple) est un « gros succès ». Connaître les nouvelles fonctionnalités de l’App Store est donc indispensable. « Notre développement est calé sur les annonces de la conférence », explique-t-il. Résolution graphique, fonctionnalité de paiement, boutons dynamiques, réalité virtuelle…, Pierre Stanislas est attentif à tout. « Il y en a pour tous les goûts », résume-t-il.
Et des goûts, il en existe de toutes sortes, la marque ayant un large public à satisfaire. Depuis sa création en 2008, son magasin virtuel s’est considérablement agrandi. D’après les derniers chiffres publiés par le groupe à la pomme croquée, l’App Store compte 1,8 million d’applications – quelques dizaines de milliers en France, selon les estimations. Une communauté mondiale qui aurait généré 643 milliards de dollars de dépenses en 2020, pour le plus grand bonheur du géant californien ! Car si l’App Store est presque gratuit pour les développeurs – 99 dollars par an pour y accéder et faire fructifier son business –, les applications peuvent être payantes pour leurs utilisateurs – c’est déjà le cas de 15 % d’entre elles, soit à peu près 250 000 –, une commission étant prélevée sur chaque abonnement par Apple. Lequel vient d’abaisser celle-ci à 15 % pour les entreprises qui font moins de 1 million de
dollars de chiffre d’affaires annuel (30 % pour les autres la première année).
Pour gérer cette armée de l’ombre, le groupe de Cupertino, première capitalisation mondiale, a créé des équipes dédiées un peu partout dans le monde. « Nous sommes là pour aider et mettre en avant les meilleures applications », assure Daniel Matray, responsable de l’App Store en Europe. Dans certains pays, Apple a même créé des sortes de pouponnières pour faire grandir les apps les plus prometteuses. En France, cette « usine à pépites » a été installée à Station F, et Wilov en a fait partie. L’application de détourage et de retouche photo PhotoRoom en a également bénéficié pour se déployer, notamment à l’étranger. « On a été mis en contact avec l’App Store à Tokyo, qui nous a donné les bons tuyaux pour que le produit colle aux attentes des Japonais », témoigne Matthieu Rouif, l’un de ses cofondateurs.
Réussir à être mis en avant, « c’est un peu une course de fond avec étapes »
D’autres, comme Yuka (23 millions d’utilisateurs), qui permet de connaître l’impact d’un aliment sur la santé, ont bénéficié d’un suivi personnalisé pour améliorer leur business, avec des rapports sur leur activité, le nombre de téléchargements, la concurrence. « L’équipe de Paris nous a donné des conseils sur l’iconographie et les fonctionnalités », se souvient François Martin, l’un des initiateurs du projet. Même accompagnement pour Foodvisor : créée en 2015, l’application, qui se présente comme un coach nutritionnel, a été assez vite repérée pour son potentiel et propulsée dans plusieurs pays grâce à un travail en petit comité avec Apple. « On avait de gros enjeux de recrutement d’utilisateurs, se souvient Charles Boes, l’un des cofondateurs. Ils nous ont mis en contact avec un développeur de chez eux pour augmenter les téléchargements et les abonnements. » En trois ans, Foodvisor, qui est aussi présent aux EtatsUnis, est passé de quelques dizaines de milliers à 4 millions d’utilisateurs.
Reste que grandir dans cet écosystème et être mis en avant dans l’App Store n’est pas simple. « C’est un peu une course de fond avec étapes », reconnaît Daniel Matray. Il faut que tout soit au carré. Guillaume Rozier peut en témoigner. Si le père de Vite ma dose a pu lancer rapidement son application – destinée à dénicher des rendez-vous pour se faire vacciner contre le Covid –, il a quand même dû franchir pas mal d’épreuves. L’inscription ? Pas possible sans avoir déjà créé sa société. « On a pu s’enregistrer sur l’App Store grâce à une association », s’amuse l’ingénieur. La communication sur l’App Store ? Retoquée à cause de la présence d’une aiguille sur un visuel… Même le nom utilisé est contrôlé par les équipes d’Apple. Depuis le début de la pandémie, aucune application non gouvernementale n’a pu utiliser le terme « Covid ». « Ils vérifient tout, ils sont très tatillons », confirme François Martin. Une rigueur que le groupe assume totalement. « Si nous sommes aussi exigeants, c’est que les applications proposées doivent être conformes à la promesse d’Apple », justifie Daniel Matray, rappelant que quelques centaines de milliers d’applications ont été retirées de l’App Store depuis sa création. Dans l’armée de l’ombre, les consignes sont claires.