L'Express (France)

Les cabinets japonais, miraculés du musée Condé

A la suite d’un rebondisse­ment surréalist­e, le domaine de Chantilly, dans l’Oise, a retrouvé deux coffrets précieux volés il y a quarante-six ans. Des pièces rares qui gardent encore quelques mystères.

- LETIZIA DANNERY

En bas : A l’intérieur de chacun, un temple miniature doté de tiroirs. Sur celui-ci, l’étiquette « Orleans House », apposée sur le mobilier du duc d’Aumale lors de son exil anglais.

C’est une histoire rocamboles­que, digne d’un polar sur fond de malfrats et d’oeuvres d’art. Au coeur de l’intrigue : deux cabinets de laque japonais, issus de la collection du duc d’Aumale, à Chantilly. Les précieux coffres viennent de réintégrer le musée Condé après quarante-six ans d’absence. Ils trônent aujourd’hui dans l’exposition La Fabrique de l’extravagan­ce, rouverte le 19 mai et prolongée jusqu’au 29 août.

Retour en arrière : dans la nuit du 12 au 13 août 1975, des cambrioleu­rs pénètrent dans la Maison de Sylvie, un châtelet situé à l’une des extrémités du parc. Bien renseignés, ils en déjouent les alarmes. Plusieurs trésors sont dérobés : deux tapisserie­s des Gobelins, quatre vases japonais et... la fameuse paire de petits cabinets – sans leur socle, trop lourds à trimballer. Ni l’enquête de police, qui fait feu de tout bois, ni la large diffusion dans la presse des oeuvres volées n’aboutissen­t. Le fait divers, retentissa­nt, retombe comme un soufflé.

Rebondisse­ment... le 26 avril 2021 : Matthieu Deldicque, conservate­ur au musée Condé, qui reste attentif à tout ce qui peut toucher le domaine, sursaute face à l’alerte « Aumale » du site Interenche­res. com, signalant à Doullens, dans la Somme, la vente de deux cabinets du Japon « fin xviiie siècle » et présentant une étiquette « Orleans House ». L’exacte inscriptio­n apposée sur le mobilier du duc d’Aumale lors de son exil anglais ! Nicole Garnier, conservate­ur général du patrimoine et responsabl­e des collection­s à Chantilly, le confirme : une fois les pièces comparées avec les photograph­ies d’époque, le doute n’est plus permis ; il s’agit bien des coffres dérobés en 1975. Leur dépositair­e à la vente aux enchères, un antiquaire de Rouen, ignorant de leur provenance, les restitue immédiatem­ent, et sans contrepart­ie financière, au musée Condé de Chantilly.

A quoi ressemblen­t donc ces précieux cabinets japonais ? Chacun d’eux s’ouvre par deux vantaux sur un temple miniature doté de tiroirs pour les offrandes, sans doute vouées au culte shintoïste. Très bien conservés, leurs décors de laque montrent de nombreux motifs réalisés à la feuille et à la poudre d’or : chaînes de montagnes, édifices religieux, végétation… La finesse de chaque détail se capte à l’oeil nu. « Leur datation est ancienne et doit encore être expertisée », précisent les conservate­urs.

Quant à leur provenance, elle est connue… jusqu’à un certain point. On sait, grâce à l’étude des inventaire­s, qu’ils ont appartenu à Louis-HenriJosep­h de Bourbon-Condé (1756-1830), neuvième et dernier prince de l’illustre maison, qui, faute d’héritier vivant à sa mort, légua à son petit-neveu et filleul, Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897), le domaine de Chantilly, mais aussi sa résidence parisienne du palais Bourbon et ses collection­s. On ignore néanmoins quand les deux petits meubles « maisonnett­e dedans » intégrèren­t le giron des Condé. Les experts penchent fortement pour une acquisitio­n du grand-père de Louis-Henri-Joseph, Louis IV Henri de Condé (1692-1740).

Ce Premier ministre de Louis XV fut en effet un mécène de premier plan. Sa passion : les objets rares d’Extrême-Orient. Il collection­na ainsi des porcelaine­s, des indiennes et du mobilier en laque de Chine et du Japon, et patronna même la création de trois manufactur­es dédiées aux production­s d’Asie. Un grand coffre décoré de faisans, rare rescapé des pièces dispersées à la Révolution, figure toujours dans les collection­s du musée Condé. Dans l’inventaire de 1740, on le retrouve listé non loin de la mention de « deux petits cabinets de laque ancien Japon carré à pagodes en relief doré ». De là à penser qu’il s’agit de la paire volée en 1975, retrouvée après plus de quatre décennies, il n’y a qu’un petit pas qu’on est bien tenté de franchir...

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 ??  ?? En haut : Les deux cabinets en laque japonais après leur retour au domaine de Chantilly en mai 2021.
En haut : Les deux cabinets en laque japonais après leur retour au domaine de Chantilly en mai 2021.

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