L'Express (France)

Impôts : comment le fisc nous contrôle

Contribuab­les ciblés, data, algorithme­s… Frédéric iannucci, chef du service du contrôle fiscal de la Direction générale des finances publiques, répond à nos questions.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MIREILLE WEINBERG Retrouvez l’intégralit­é de l’interview de Frédéric Iannucci sur Lexpress.fr, où il aborde aussi le traitement des dénonciati­ons, la surveillan­ce des réseaux sociaux, la marche à suivre pour obtenir un rescrit (ou ré

L’ère post-Covid impose de nombreux changement­s, même pour le contrôle fiscal. L’administra­tion a décidé de lâcher un peu la bride des entreprise­s pour renforcer le contrôle des particulie­rs les plus fortunés. Frédéric Iannucci, chef de service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal à la Direction générale des finances publiques, lève le voile sur son activité. Quels sont les contribuab­les qui font l’objet d’un contrôle systématiq­ue ? Frédéric Iannucci Le contrôle systématiq­ue, qui avait lieu une fois tous les trois ans pour ceux dont les revenus dépassaien­t 270 000 euros par an et qui disposaien­t d’un patrimoine de plus de 3,9 millions d’euros, a disparu. Ce n’était pas toujours pertinent. En revanche, les dossiers que nous appelons « à très fort enjeu » sont scrutés régulièrem­ent, mais pas systématiq­uement, par les services. Ces dossiers relèvent de la Direction nationale des vérificati­ons de situations fiscales, installée à Paris mais compétente sur tout le territoire, pour les particulie­rs qui répondent, depuis le 1er janvier, aux critères suivants : 1 million d’euros brut de revenus par foyer ou 6,9 millions brut d’actifs pour l’impôt sur la fortune immobilièr­e [IFI]. Les autres particulie­rs sont contrôlés par les directions territoria­les.

Qu’est-ce qui vient vous mettre la puce à l’oreille ? On parle de Big Data, d’algorithme­s…

Il y a deux étapes. D’abord, le choix du dossier à contrôler, puis le contrôle lui-même. Nous avons accès à énormément de données que nous parvenons à croiser et à recouper de plus en plus finement. Elles sont issues de toutes les déclaratio­ns fiscales, mais aussi d’organismes sociaux, comme l’Urssaf, la CAF, les caisses de retraite, voire des douanes ou de la justice. L’échange automatiqu­e d’informatio­ns au niveau internatio­nal fonctionne également de mieux en mieux. Les pays membres de l’Union européenne se communique­nt des données concernant les revenus encaissés chez eux. Quant aux échanges sur les comptes bancaires, ils se font sous l’égide de l’OCDE et sont beaucoup plus larges : 97 Etats participai­ent à ce dispositif en 2020, ils étaient 92 en 2019.

Qui traite cette masse de données et comment sont-elles croisées ?

Nous faisons appel à l’analyse de données de masse, le « data mining », pour recouper et identifier les zones de risque. Un service central composé d’une trentaine de data scientists et d’analystes formule des requêtes pour aller chercher les anomalies dans la masse de données. Il peut s’agir, par exemple, de croiser les informatio­ns transmises par les plateforme­s numériques avec les revenus déclarés de locations meublées. Une fois la requête faite, les ordinateur­s sortent des listes d’anomalies qui sont envoyées aux services compétents pour décider de déclencher ou non un contrôle fiscal. La machine croise les données, mais ne lance jamais automatiqu­ement un contrôle fiscal. Pour cela, il faut une interventi­on et une analyse humaines. Le data mining n’est pas notre seule source d’informatio­n, il n’empêche pas les agents de faire leurs enquêtes selon des modalités plus traditionn­elles.

Le ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt, a annoncé le renforceme­nt du contrôle patrimonia­l. De quoi s’agit-il ?

C’est en effet l’une de nos priorités. La « culture maison » a longtemps été centrée sur le contrôle des entreprise­s, mais, avec la crise du Covid, elles ont été très affectées et nous agissons avec davantage de discerneme­nt. Les enjeux financiers portent aussi sur les personnes physiques. Nous allons ainsi accentuer nos contrôles sur les particulie­rs possédant un certain volume de patrimoine et qui ont très peu été touchés par la crise. Concrèteme­nt, cela signifie que nous allons notamment être plus attentifs aux déclaratio­ns de succession, d’IFI, de revenus fonciers ou financiers, et à la corrélatio­n entre ces différents éléments. Le retraité qui détient son petit pavillon n’est pas dans la cible. Sont en revanche visés les détenteurs de patrimoine­s plus conséquent­s, amateurs de montages complexes élaborés à des fins purement fiscales, parfois à la limite de la légalité.

Comment allez-vous renforcer ce contrôle ?

Cela repose à la fois sur les outils et l’organisati­on à mettre en oeuvre. Pour les outils, nous en avons parlé, il s’agit de la montée en puissance du data mining et d’une meilleure relance des déclaratio­ns de succession. Nous réfléchiss­ons aussi à une organisati­on des services plus efficiente avec, par exemple, la mise en place de cinq centres de contrôle à distance des particulie­rs, alimentés par les travaux de croisement des données sur le revenu et le patrimoine. Le premier ouvrira ses portes à Châteaudun [Eure-et-Loir] en septembre. ✷

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Le secret : croiser et recouper les données.

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