L'Express (France)

Diderot contre les « faux nez »

Wikipédia, projet associatif des plus enthousias­mants, doit être protégé contre les manipulati­ons extérieure­s.

- PAR ÉTIENNE GIRARD

Diderot et d’Alembert en auraient sans doute rêvé. En ce xxie siècle, chaque jour, des bénévoles anonymes enrichisse­nt une encyclopéd­ie sur la Toile. Pour zéro euro, n’importe quel Français disposant d’un accès à Internet peut consulter la compositio­n de tous les gouverneme­nts de la Ire à la Ve République ou bien se familiaris­er avec la pensée de Condorcet. S’il le souhaite, l’internaute peut aussi faire le point sur les connaissan­ces disponible­s concernant le Covid, bifurquer sur le palmarès du Ballon d’Or 1961 ou plonger dans la recette des artichauts à la barigoule. Wikipédia, c’est à la fois l’Encyclopae­dia Universali­s, le Quid, la mémoire de votre grandpère et un pensebête ultrasynth­étique sur l’actualité. Une utopie devenue réalité. Voilà vingt ans que l’encyclopéd­ie en ligne, fondée presque par hasard par deux Américains aventureux, révolution­ne l’accès au savoir partout dans le monde. En France, ses 2,3 millions d’articles servent de manuel de culture générale aux quelque 32,6 millions de visiteurs qui se sont rendus sur son site en avril 2021.

Bien sûr, ce n’est pas parce qu’une informatio­n est écrite sur Wikipédia qu’elle est vraie. La plateforme fonctionna­nt sur le modèle collaborat­if – c’estàdire que tout un chacun peut en modifier le contenu en temps réel –, des erreurs sont en effet susceptibl­es d’être ajoutées. Dans le jargon, cela s’appelle du « vandalisme numérique ». Cette supposée fragilité tend pourtant à s’estomper. D’une part, car les pages les plus ciblées par les « vandales » sont étroitemen­t surveillée­s par des armées de « patrouille­urs », ces volontaire­s qui passent des heures à traquer les trolls de la jungle Internet. D’autre part, car les lecteurs les plus avertis ont appris à se référer aux sources obligatoir­es pour chaque paragraphe. Cellesci doivent renvoyer vers un article extérieur, le plus souvent scientifiq­ue ou médiatique.

Un autre type de contenu trompeur possède un potentiel plus dévastateu­r. Il s’agit des contributi­ons outrancièr­ement promotionn­elles au service d’individus du monde économique, politique ou intellectu­el, auxquelles L’Express consacre cette semaine son dossier de Une. Wikipédia a pris une telle importance que ces interventi­ons sont devenues légion, réalisées par des agences avançant parfois sous un « faux nez », celui d’un utilisateu­r lambda. Parce qu’ils menacent l’indépendan­ce de l’encyclopéd­ie, ces agissement­s et les techniques sophistiqu­ées qui les accompagne­nt doivent être connus de tous les Français.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France