Allemagne Opération transparence au pays des lobbys
A quatre mois des législatives et alors que le camp conservateur est fragilisé par l’« affaire des masques », les députés ont voté une loi sur la moralisation de la vie publique.
« Les constructeurs automobiles rédigent les passages de lois qui les concernent »
Bientôt, le Bundestag ne sera plus une auberge espagnole. A partir de septembre, date du début de la prochaine législature, les lobbyistes devront montrer patte blanche pour pouvoir circuler dans les couloirs de l’Assemblée fédérale. Quant aux députés, ils seront tenus de déclarer tous leurs revenus annexes au-delà de 3 000 euros par an. Après avoir instauré, le 26 mars, un « registre de transparence », le Bundestag a voté, ce 11 juin, une loi sur la moralisation de la vie publique. « Jusqu’à présent, personne ne savait ce que les lobbys faisaient dans l’Assemblée, quelles personnes ils fréquentaient et combien ils dépensaient pour leur travail », explique Timo Lange, porteparole de LobbyControl, un observatoire indépendant sur les pouvoirs d’influence et les conflits d’intérêts, qui se félicite que ce texte ait été voté avant les élections.
Sans l’« affaire des masques » – des députés conservateurs ont perçu des commissions pour avoir servi d’intermédiaires dans des contrats d’achat de masques au début de la pandémie de Covid-19 –, cette loi n’aurait sans doute pas été adoptée si rapidement. A quatre mois des législatives, le Parti chrétien-démocrate (CDU) a dû faire le ménage dans ses rangs pour sauver une campagne électorale très poussive. Les députés soupçonnés d’avoir profité de la crise sanitaire pour s’enrichir ont été priés de démissionner de leur mandat. Mais, contrairement à ce que prétendent les conservateurs, ces derniers n’étaient pas juste des « brebis galeuses ». Cette affaire a mis au jour tout un système de relations incestueuses entre les représentants de l’économie et des élus de tous les partis. Et l’Allemagne, tant louée par les Français pour son hygiène politique (on y démissionne au moindre faux pas), n’est pas, tant s’en faut, un modèle de transparence. « L’influence des lobbys est beaucoup plus forte et opaque qu’en France », assure Léa Briand, porte-parole d’Abgeordnetenwatch, une ONG qui collecte des informations sur les activités annexes des députés.
La droite allemande a d’ailleurs réussi à édulcorer le texte de loi sur le sujet de la transparence afin de conserver un certain anonymat dans ses relations avec les entreprises. Ainsi, il n’y aura pas d’obligation à donner les noms des élus ou des fonctionnaires approchés par les groupes de pression, comme cela était pourtant envisagé au départ. « Les conservateurs, qui touchent aussi des revenus annexes importants comme lobbyistes, restent hermétiques à la transparence », critique Timo Lange.
A part Bruxelles, aucune capitale européenne n’en compte d’ailleurs autant que Berlin (plus de 5 000, selon les estimations), et ce dans un périmètre restreint. Il suffit de se rendre sur la Reinhardtstrasse, surnommée la « promenade des lobbys », une rue qui mène tout droit au Bundestag et à la chancellerie. A l’heure du déjeuner, on peut y apercevoir les experts dans les gargotes du quartier de Mitte. Les guides de LobbyControl proposent même des visites pour découvrir les endroits où l’on « discute » en toute discrétion, comme la cafétéria de l’Académie des arts, porte de Brandebourg.
Tous les secteurs y sont représentés : banque, énergie, transports… Et les conflits d’intérêts y sont inévitables. « Ces conseillers s’installent parfois pour plusieurs mois dans les ministères. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, y recourait largement lorsqu’elle était ministre de la Défense. Ces rapports sont très incestueux », déplore Léa Briand. « Le lobby de l’automobile est tellement puissant que les législateurs laissent les constructeurs rédiger eux-mêmes les passages qui les concernent dans les textes de lois », s’emporte Jürgen Resch, président de la Deutsche Umwelthilfe, l’ONG à l’origine des interdictions partielles de circulation pour les voitures diesel. Pas étonnant que l’Allemagne soit le dernier pays du monde sans limitation de vitesse sur les autoroutes.
L’influence des lobbys sur le gouvernement outre-Rhin n’est pas non plus sans conséquences sur la politique européenne. « L’automobile allemande est à l’origine des blocages sur la réduction des taux d’émissions polluantes en Europe, rappelle la bête noire des industriels du pays, Jürgen Resch. Les Français auraient des voitures plus propres sans le lobby des constructeurs. » La pression est tellement forte que même les écologistes se plient à ses exigences. Dans le Bade-Wurtemberg, un Land dirigé depuis dix ans par les Verts, Porsche et Mercedes ont trouvé en Winfried Kretschmann, ministre-président