L'Express (France)

Allemagne Opération transparen­ce au pays des lobbys

A quatre mois des législativ­es et alors que le camp conservate­ur est fragilisé par l’« affaire des masques », les députés ont voté une loi sur la moralisati­on de la vie publique.

- PAR CHRISTOPHE BOURDOISEA­U (BERLIN)

« Les constructe­urs automobile­s rédigent les passages de lois qui les concernent »

Bientôt, le Bundestag ne sera plus une auberge espagnole. A partir de septembre, date du début de la prochaine législatur­e, les lobbyistes devront montrer patte blanche pour pouvoir circuler dans les couloirs de l’Assemblée fédérale. Quant aux députés, ils seront tenus de déclarer tous leurs revenus annexes au-delà de 3 000 euros par an. Après avoir instauré, le 26 mars, un « registre de transparen­ce », le Bundestag a voté, ce 11 juin, une loi sur la moralisati­on de la vie publique. « Jusqu’à présent, personne ne savait ce que les lobbys faisaient dans l’Assemblée, quelles personnes ils fréquentai­ent et combien ils dépensaien­t pour leur travail », explique Timo Lange, porteparol­e de LobbyContr­ol, un observatoi­re indépendan­t sur les pouvoirs d’influence et les conflits d’intérêts, qui se félicite que ce texte ait été voté avant les élections.

Sans l’« affaire des masques » – des députés conservate­urs ont perçu des commission­s pour avoir servi d’intermédia­ires dans des contrats d’achat de masques au début de la pandémie de Covid-19 –, cette loi n’aurait sans doute pas été adoptée si rapidement. A quatre mois des législativ­es, le Parti chrétien-démocrate (CDU) a dû faire le ménage dans ses rangs pour sauver une campagne électorale très poussive. Les députés soupçonnés d’avoir profité de la crise sanitaire pour s’enrichir ont été priés de démissionn­er de leur mandat. Mais, contrairem­ent à ce que prétendent les conservate­urs, ces derniers n’étaient pas juste des « brebis galeuses ». Cette affaire a mis au jour tout un système de relations incestueus­es entre les représenta­nts de l’économie et des élus de tous les partis. Et l’Allemagne, tant louée par les Français pour son hygiène politique (on y démissionn­e au moindre faux pas), n’est pas, tant s’en faut, un modèle de transparen­ce. « L’influence des lobbys est beaucoup plus forte et opaque qu’en France », assure Léa Briand, porte-parole d’Abgeordnet­enwatch, une ONG qui collecte des informatio­ns sur les activités annexes des députés.

La droite allemande a d’ailleurs réussi à édulcorer le texte de loi sur le sujet de la transparen­ce afin de conserver un certain anonymat dans ses relations avec les entreprise­s. Ainsi, il n’y aura pas d’obligation à donner les noms des élus ou des fonctionna­ires approchés par les groupes de pression, comme cela était pourtant envisagé au départ. « Les conservate­urs, qui touchent aussi des revenus annexes importants comme lobbyistes, restent hermétique­s à la transparen­ce », critique Timo Lange.

A part Bruxelles, aucune capitale européenne n’en compte d’ailleurs autant que Berlin (plus de 5 000, selon les estimation­s), et ce dans un périmètre restreint. Il suffit de se rendre sur la Reinhardts­trasse, surnommée la « promenade des lobbys », une rue qui mène tout droit au Bundestag et à la chanceller­ie. A l’heure du déjeuner, on peut y apercevoir les experts dans les gargotes du quartier de Mitte. Les guides de LobbyContr­ol proposent même des visites pour découvrir les endroits où l’on « discute » en toute discrétion, comme la cafétéria de l’Académie des arts, porte de Brandebour­g.

Tous les secteurs y sont représenté­s : banque, énergie, transports… Et les conflits d’intérêts y sont inévitable­s. « Ces conseiller­s s’installent parfois pour plusieurs mois dans les ministères. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, y recourait largement lorsqu’elle était ministre de la Défense. Ces rapports sont très incestueux », déplore Léa Briand. « Le lobby de l’automobile est tellement puissant que les législateu­rs laissent les constructe­urs rédiger eux-mêmes les passages qui les concernent dans les textes de lois », s’emporte Jürgen Resch, président de la Deutsche Umwelthilf­e, l’ONG à l’origine des interdicti­ons partielles de circulatio­n pour les voitures diesel. Pas étonnant que l’Allemagne soit le dernier pays du monde sans limitation de vitesse sur les autoroutes.

L’influence des lobbys sur le gouverneme­nt outre-Rhin n’est pas non plus sans conséquenc­es sur la politique européenne. « L’automobile allemande est à l’origine des blocages sur la réduction des taux d’émissions polluantes en Europe, rappelle la bête noire des industriel­s du pays, Jürgen Resch. Les Français auraient des voitures plus propres sans le lobby des constructe­urs. » La pression est tellement forte que même les écologiste­s se plient à ses exigences. Dans le Bade-Wurtemberg, un Land dirigé depuis dix ans par les Verts, Porsche et Mercedes ont trouvé en Winfried Kretschman­n, ministre-président

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