L'Express (France)

Claude Chirac, de l’ombre à la lumière

Elle a joué un rôle majeur pendant la présidence de son père. Aujourd’hui, elle se présente pour la première fois à une élection. En Corrèze, forcément.

- PAR ÉRIC MANDONNET

C’est un épisode méconnu de la présidence Chirac. En 2004, le chef de l’Etat s’apprête à constituer un nouveau gouverneme­nt, tout en maintenant JeanPierre Raffarin à sa tête. Les deux hommes en discutent et mettent au point une liste définitive. De retour à Matignon, le Poitevin manque de tomber de sa chaise en découvrant la compositio­n officielle. Jean-Louis Borloo, qui était ministre délégué à la Ville, se retrouve comme prévu no 5 du gouverneme­nt, mais à la tête d’un vaste ministère de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale. Ce n’est pas exactement ce qui était convenu entre le président et son Premier ministre : Jean-Louis Borloo a vu son portefeuil­le grossir dans les ultimes minutes. Jean-Pierre Raffarin téléphone à Jacques Chirac, pour apprendre qu’entre-temps une troisième personne a mis sa patte au remaniemen­t : « Vois ça avec Claude. » Comprendre Claude Chirac, fille de, conseillèr­e communicat­ion du président, qui a agi ainsi en toute discrétion.

Une prudence encore de mise au printemps 2020, quand Edouard Philippe, qui s’interrogea­it sur la suite de son expérience à Matignon, la convia dans le plus grand secret pour un déjeuner. « Si elle parlait, elle pourrait, sans doute, dire des choses uniques sur le monde politique. Mais voilà, Claude Chirac ne parle pas. […] Elle nous a donné, dans un moment sensible, le conseil le plus marquant de ces 1 145 jours [passés à Matignon] », écrivent dans Impression­s et lignes claires le maire du Havre et son ami Gilles Boyer, non sans saluer son « humilité » et « une intelligen­ce à la fois sincère et lumineuse ». Mystère et boule de gomme… En janvier dernier, elle appelle Bruno Le Maire pour le féliciter de la sortie de son ouvrage L’Ange et la Bête. L’eau a coulé sous les ponts depuis le temps où elle lui reprochait de ne pas savoir tenir sa langue, ou plutôt sa plume, et de dévoiler les coulisses du palais élyséen dans Des hommes d’Etat (2008) – pas le genre de la maison, on l’a compris.

Passer de l’ombre à la lumière, avait dit Jack Lang. Le chemin emprunté par Claude Chirac commence pourtant par des heures sombres. Les Français la découvrent le 29 septembre 2019, lorsqu’elle sort des Invalides pour remercier la foule venue rendre un dernier hommage à Jacques Chirac. Pendant quelques jours, elle s’occupe de tout, elle construit une ultime image qui clôt en même temps qu’elle colore une saga exceptionn­elle, « elle verrouille, comme à son habitude », susurre un fidèle de feu le président.

Un an plus tard, la voici sous les projecteur­s de BFM TV pour un entretien de près d’une heure, elle dont la parole ne fut pas rare, mais inexistant­e… « Un jour vous devenez les parents de vos parents. C’était mon devoir », glisse-t-elle à Ruth Elkrief pour expliquer pourquoi elle a accompagné sans relâche la fin de vie de son père. Elle revient alors sur la présidenti­elle de 2002, qui vit Jean-Marie Le Pen accéder au second tour. « J’aurais trouvé formidable qu’on fasse un gouverneme­nt d’union nationale, après une telle épreuve. Jacques Chirac nous a dit :“Il faut une gauche et une droite pour parler de la France, il faut deux pôles, une alternance.” Il avait parfaiteme­nt conscience que les gens ne comprendra­ient pas, probableme­nt, cette décision. Mais il a considéré que c’était l’intérêt du pays, à terme, parce que cette confusion serait au bout du bout porteuse, évidemment, d’un affaibliss­ement des forces

démocratiq­ues républicai­nes au profit des extrémisme­s. »

Tous les acteurs de l’époque ne gardent pas le souvenir d’un Jacques Chirac à ce point magnanime (« Convaincu que la gauche risquait fortement de gagner les législativ­es de juin, il voulait surtout éviter la défaite électorale de la droite un mois après avoir été luimême réélu face à l’extrême droite », raconte l’un d’eux) : Claude Chirac s’intéresse parfois plus à la trace dans l’Histoire qu’à l’exacte vérité des faits. Ce jourlà, comme souvent, elle utilise une expression parmi ses favorites : « Un chien ne fait pas un chat. » Et c’est ainsi qu’elle finit par découvrir la lumière électorale sous le ciel de Corrèze. Un temps, on avait pensé que ce serait son fils Martin qui rallumerai­t localement le flambeau. On se trompait. Claude Chirac aurait pu choisir le canton de Meymac, où son père fut conseiller général de 1968 à 1988. Elle a préféré celui de BrivelaGai­llarde, où sa mère Bernadette fut élue suppléante en 2015 pour son ultime mandat. Ici, son arrièregra­ndpère LouisJosep­h Chirac fut instituteu­r puis directeur de l’école FirminMarb­eau. Ici se trouve aussi la maison familiale de SainteFéré­ole. C’est un retour aux sources pour celle que la vie avait éloignée de ces terres.

Sa campagne se veut exclusivem­ent locale. Elle multiplie les porteàport­e, avec une exception au programme : le 4 juin, elle accueille Christian Jacob et François Baroin, qui sont ce que la Chiraquie fait de mieux en matière de fidélité, pour un déjeuner avec des élus de la région et une visite de terrain. Les trois inaugurent ensuite à Panazol (HauteVienn­e) une place au nom de l’ancien président, mais Claude s’éclipse avant la réunion publique qui suit. « Je l’ai trouvée formidable sur le terrain, à l’écoute, disponible, empathique, confie François Baroin à L’Express. Visiblemen­t très heureuse de s’engager, elle est dans cette campagne en harmonie avec ses racines. »

La discrète n’est pas encore élue conseillèr­e départemen­tale qu’on évoque déjà pour elle un poste de ministre. « Je ne sais pas lire dans une boule de cristal », répondelle dans La Montagne quand elle est interrogée sur une future carrière nationale, tout en se fixant une ligne : « L’union de la droite et du centre, c’est le sillon politique de mon père et de ma mère. » Ce qui ne l’empêche pas d’être inclassabl­e – elle s’est rapprochée d’Anne Hidalgo, qui fut prompte à rebaptiser le quai Branly en quai JacquesChi­rac.

Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’elle fut approchée par Emmanuel Macron avant la formation du gouverneme­nt Castex, et qu’elle déclina toute propositio­n. Elle n’avait pas forcément apprécié l’attitude un peu trop récupératr­ice de l’actuel chef de l’Etat au moment de la mort de Jacques Chirac. Et c’est bien avec le soutien de LR, et non de LREM, que celle qui n’a jamais adhéré à un parti politique se présente sur la liste menée par le président sortant du conseil départemen­tal, Pascal Coste, qui observe, dans Le Figaro : « Elle fut si proche de son père qu’elle en est totalement imprégnée. » Les chiens ne font pas des chats, c’est entendu. Claude Chirac pourrait ajouter qu’il ne faut pas mettre la charrue devant les boeufs.

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