L'Express (France)

Vietnam Tout sauf les vaccins chinois

En proie à une reprise de l’épidémie, le Parti communiste vietnamien refuse de commander des doses à son puissant voisin, dont il se méfie.

- PAR FRANÇOIS CAMPS (PHNOM PENH)

Comme la plupart de ses concitoyen­s, Pham Lan a reçu début juin un SMS du ministère de l’Informatio­n. Assorti d’un numéro de compte bancaire, le message du gouverneme­nt vietnamien invitait le peuple à soutenir le « fonds pour les vaccins contre le Covid-19 » afin d’aider à la fois à « l’achat, l’importatio­n, la recherche et la fabricatio­n domestique » de ces produits. « J’ai donné 1 million de dongs (environ 35 euros), car je veux aider mon pays à sortir rapidement de cette crise », explique la dentiste de 27 ans, établie à Hanoï. La générosité de Lan, cumulée à celle de 230 000 autres citoyens ou entreprise­s, a permis de récolter plus de 260 millions d’euros en quelques jours. Soit un quart du budget estimé pour vacciner la population.

Cet appel à l’aide du Parti communiste vietnamien traduit la situation délicate du pays, qui avait pourtant bien contrôlé l’épidémie pendant plus d’un an. L’arrivée des variants britanniqu­e et indien, plus contagieux, a provoqué une forte augmentati­on des cas début mai. Depuis, ce sont plus de 7 900 nouvelles contaminat­ions qui ont été détectées, portant le total à près de 11 000 à la mi-juin ; tandis que l’on dénombre désormais 59 décès. Partie du nord, la pandémie s’est répandue sur tout le territoire, donnant lieu à des confinemen­ts ciblés, comme à Hô Chi Minh-Ville, la capitale économique, au sud.

Problème, les vaccins manquent. Si l’exécutif a dernièreme­nt multiplié les accords, les 120 millions de doses, commandées directemen­t auprès des fabricants (AstraZenec­a, Pfizer-BioNTech, Moderna et Spoutnik V) ou par le biais du dispositif internatio­nal Covax, peinent à arriver. Résultat, alors que moins de 1,5% de la population a reçu une première dose au 13 juin, la campagne vaccinale vietnamien­ne est la moins avancée au sein de l’Associatio­n des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean). « L’objectif du gouverneme­nt de vacciner 75 des 98 millions d’habitants d’ici à un an paraît inatteigna­ble », juge Le Hong Hiep, chercheur à l’Institut d’études sur l’Asie du Sud-Est, à Singapour. Pendant ce temps, « la plupart des autres pays de la région ont recours aux vaccins chinois de Sinopharm ou Sinovac », note Giang Khac Nguyen, de l’université Victoria de Wellington, en NouvelleZé­lande. Mais rien n’y fait : le Viêtnam est le seul membre de l’Asean à rester hermétique à la diplomatie chinoise du vaccin.

Le pays a beau, comme l’empire du Milieu, être dirigé depuis des décennies par le Parti communiste, les relations bilatérale­s sont compliquée­s. « Du fait des nombreuses guerres entre eux au cours de l’Histoire, mais aussi de la domination économique de la Chine dans la région, il existe une défiance très forte chez les Vietnamien­s vis-à-vis de leur voisin du nord, résume Bill Hayton, chercheur associé auprès du think tank Chatham House. Le gouverneme­nt mettrait sa légitimité en jeu s’il commandait massivemen­t des flacons chinois. » « Les gens pensent que le virus a été créé par les Chinois, donc personne ne veut de leurs produits », croit savoir Pham Lan, la dentiste de Hanoï , qui, pour sa part, n’y consentira­it « jamais ».

L’enjeu est aussi géopolitiq­ue. Les tensions en mer de Chine du Sud, où Pékin s’approprie des archipels disputés avec le Vietnam, jouent également sur la volonté de Hanoï d’éviter à tout prix de se fournir auprès du géant asiatique. « Si le régime accepte des vaccins chinois, comment pourra-t-il s’opposer ensuite aux agissement­s de Pékin dans les eaux de la région ? » interroge le chercheur Le Hong Hiep. D’autant que le pays de l’oncle Hô compte sur sa propre production. Quatre vaccins sont en cours de développem­ent, faisant du Vietnam le seul membre de l’Asean lancé dans cette course. Le plus prometteur d’entre eux, le Nanocovax, est entré dans sa troisième phase de test début juin et pourrait être autorisé localement au mois d’août. L’entreprise en charge de son développem­ent, Nanogen, dit pouvoir produire 10 millions de doses par mois. Ce produit « made in Vietnam » serait en mesure de « sensibleme­nt accélérer la campagne vaccinale », estime Le Hong Hiep. A Hanoï, Pham Lan, qui « croi[t] en la médecine vietnamien­ne », l’attend avec impatience.

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