Colombie Cali, ville fracturée, s’enfonce dans la violence
La troisième ville du pays est devenue l’épicentre de la crise sociale. Et du désespoir des jeunes.
Le jour, les manifestants déclament des poésies et jouent de la trompette. La nuit, ils affrontent la police à balles réelles. Près de deux mois après le début de la grève générale déclenchée par l’annonce d’une réforme fiscale, la mobilisation se poursuit à Cali (2,3 millions d’habitants), dans le sud-ouest du pays, où, plus encore que dans la capitale Bogota ou qu’à Bucaramanga (nord-est) et Pereira (ouest), la situation demeure toujours très tendue.
Pour la seule journée du vendredi 28 mai, les forces de l’ordre ont tué 13 personnes, tandis qu’à l’échelle du pays, le bilan de la répression est terrifiant : de 50 à 70 morts selon les estimations, sans oublier les 91 personnes portées disparues. Le lendemain, le président de droite, Ivan Duque, décrétait le « déploiement maximal d’une assistance militaire », soit 1 200 soldats.
A l’appel des syndicats nationaux, les citoyens étaient invités à manifester le mercredi 28 avril pour protester contre la hausse de la TVA envisagée par le gouvernement. Malgré le retrait du projet, la répression violente de la police a électrisé la révolte dans une ville affaiblie par le Covid, le narcotrafic, le chômage et le problème des déplacés – des dizaines de milliers de Colombiens fuyant l’insécurité liée au conflit armé sont venus s’installer à Cali.
Autre facteur de tension, la mixité sociale est inexistante. D’un côté, les « ninis » (ni emploi, ni étude, ni futur), qui occupent certains points de la ville dans l’espoir d’être entendus. Ces jeunes désoeuvrés habitent des quartiers contrôlés par les narcotrafiquants et assurent n’avoir rien à perdre. De l’autre, des gens exaspérés par les blocages et la délinquance. La défiance va si loin que l’incursion de civils armés venus prêter main-forte aux forces de l’ordre a réveillé à
Cali le spectre du paramilitarisme.
Le gouvernement, lui, agite le chiffon rouge de la guérilla pour justifier la répression. Le taux d’impopularité du président Ivan Duque atteint les 76 %. Selon le politologue Carlos Velasquez, le chef de l’Etat s’est avant tout illustré par le « détricotage » d’une partie des accords de paix avec la guérilla : « Un mélange d’incompétence et d’absence de courage politique, auquel s’ajoute l’indifférence vis-à-vis de la recrudescence de la violence et des massacres. » En cinq ans, ce sont ainsi quelque 900 leaders sociaux ont été assassinés – la majorité dans la région du Pacifique, dont Cali est la capitale.
W