Alerte sur le petit déjeuner
La hausse du prix des matières premières agricoles impacte les industriels de l’agroalimentaire. Conséquence : ils demandent aux distributeurs de répercuter cette augmentation sur le montant de leurs produits.
Combien coûte la production d’un petit déjeuner ? Les paupières lourdes aux premières lueurs du jour, la cuillère dans le bol de corn flakes et le verre de jus d’orange à la main, la question ne vient pas forcément à l’esprit. Elle hante pourtant ceux qui élaborent nos céréales, nos briques de jus de fruit ou notre chocolat en poudre. Car, depuis plusieurs mois maintenant, le prix des denrées agricoles flambe.
Une nouvelle calamité pour l’industrie de l’agroalimentaire, déjà secouée pendant la crise par la fermeture des restaurants ou de certaines grandes surfaces. S’appuyant sur les chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’association Ania, qui rassemble la plupart des fédérations et des syndicats du secteur, sonne l’alerte. Céréales, huiles végétales, sucres, produits laitiers ont connu sur les premiers mois de 2021 des hausses inédites depuis 2008, selon la principale organisation professionnelle de cette filière qui pèse plus de 200 milliards d’euros et compte près de 435 000 salariés.
S’il récuse le terme de flambée, l’Insee – dont les indicateurs sont plus complets que ceux de la FAO – reconnaît lui aussi « une accélération générale des prix à la production ». « C’est un énorme sujet de préoccupation pour nos adhérents puisque la matière première agricole représente en moyenne 55 % du coût des produits transformés », signale Stéphane Dahmani, directeur du pôle économie de l’Ania. Comme si ça ne suffisait pas, les prix des emballages et du transport de marchandise s’envolent également. « Je suis dans le métier depuis 1994, je n’ai jamais vu autant de hausses se profiler », témoigne Marc Désarménien, directeur général de la PME Fallot, un fabricant de moutarde.
Un boom qui tient à de multiples facteurs. Il y a la météo, bien sûr : la sécheresse au Brésil, en Ukraine ou aux Etats-Unis fait grimper les tarifs des céréales. « On a eu des rendements divisés par 2 entre 2019 et 2020 sur la récolte des oléagineux », renchérit Marc Désarménien. Le redémarrage rapide de l’économie chinoise met également sous tension la logistique mondiale, et la fermeture de certaines lignes de production d’emballages pousse elle aussi à l’inflation générale. Le tissu agroalimentaire français, constitué à 90 % de PME et d’entreprises de taille intermédiaire, tire la langue. Même les grandes multinationales telles que Danone et Nestlé devraient elles aussi sentir le coup passer sur les résultats du premier semestre 2021.
Ce séisme de haute magnitude en amont de la chaîne alimentaire ne perturbe
pourtant guère le portefeuille des Français, pas plus qu’il ne trouble encore le temps du petit déjeuner. « Si certaines catégories d’aliments coûtent de plus en plus cher, comme la boucherie traditionnelle, les conserves de tomates ou les produits élaborés à partir de volaille, la spirale est globalement déflationniste depuis le début de l’année », indique Emily Mayer, directrice Business Insight du panéliste IRI. Les prix alimentaires à la consommation ont même baissé de 0,2 % dans la distribution sur les quatre premiers mois de l’année, selon l’Insee.
« On est coincés entre le marteau et l’enclume, car nos adhérents sont dans l’incapacité de répercuter ces hausses de coûts dans leurs négociations avec la grande distribution », souligne Jérôme Foucault, de l’Adepale, une organisation du secteur de l’agroalimentaire. Même constat à l’Ania, qui pointe la conséquence désastreuse sur les marges des entreprises de la filière. En 2021, elles sont tombées à un plus bas historique et s’affichent comme les plus faibles des grands pays européens.
Intenable, selon l’Ania, qui réclame pour ses adhérents une hausse moyenne de 9 % des tarifs payés par la grande distribution. L’alignement de l’inflation alimentaire sur l’inflation globale « représenterait 2 euros par mois et par ménage », affirme encore l’interprofession. Les distributeurs tendront-ils l’oreille ? Empêtrés dans la sempiternelle guerre des prix qu’ils se livrent pour faire gonfler leurs parts de marché, ils seront difficiles à convaincre. Autant dire que les prochaines négociations commerciales annuelles, qui démarrent en septembre, promettent une nouvelle fois d’être très tendues.