L'Express (France)

N’ayons pas peur de trop construire, par Robin Rivaton

Le recul de la mise en chantier de logements neufs alimente la pénurie dans les zones tendues et nourrit la bulle immobilièr­e.

- Robin Rivaton Robin Rivaton, essayiste (Souriez, vous êtes filmés !, Ed de l’Observatoi­re, 2021), directeur d’investisse­ment chez Idinvest Partners.

Le gouverneme­nt a confié à François Rebsamen, maire de Dijon, la présidence de la commission pour la relance durable de la constructi­on de logements, dont j’ai l’honneur d’être membre.

Si, en France, d’ordinaire, nous abusons de la relance comme pour conjurer notre condamnati­on à l’immobilism­e, ce n’est pas vrai de l’habitat. Nous sommes le pays de l’OCDE qui a construit le plus de logements pour 1 000 habitants ces dix dernières années. Or le ralentisse­ment depuis deux ans est brutal. Evidemment, quand il s’agit d’un secteur qui représente 6,4 % de la richesse intérieure, toute politique publique se doit d’être mesurée. Aussi la crainte est légitime de la part de l’Etat de trop stimuler la constructi­on de logements.

La démographi­e est implacable

Il est souvent avancé que la chute récente de la natalité, conjuguée à la hausse des décès, justifiera­it de moins bâtir. Le solde naturel est au plus bas depuis 1945. Mais cette statistiqu­e nationale ne résiste pas à l’analyse locale. Quand l’Ile-de-France présente un excédent des naissances sur les décès de 80 000 personnes, le reste du territoire métropolit­ain affiche un déficit de 30 000 personnes. Autrement dit, il y a de plus en plus de territoire­s où la population diminue.

En 2006, 74 départemen­ts de France métropolit­aine comptaient davantage de naissances que de décès. Ils sont moins d’une trentaine en 2020. La démographi­e est implacable.

La partie de la population la plus jeune se situe dans les métropoles, où se concentren­t les naissances. Dans les zones où la population est âgée, les naissances sont, logiquemen­t, faibles. Cet effet ciseau fait que le nombre de logements vacants va croître, mais qu’ils ne seront pas là où sont les besoins.

Le télétravai­l ne change pas la donne

Avec la crise sanitaire, la possibilit­é de télétravai­ller a réveillé les rêves d’une décentrali­sation de l’activité par le départ de ménages hors de l’Ile-de-France, et donc d’une moindre croissance du nombre de logements. Des esprits brillants se sont, à maintes reprises, essayés à deviner comment les modes de vie allaient évoluer. La réalité est qu’en 2013, le déficit migratoire de l’Ile-de-France avec le reste du pays était de 28 000 ménages, soit environ 80 000 personnes. Un cinquième du déficit était composé de retraités. Cette année-là, 22 000 ménages actifs ont donc quitté la région-capitale. Un tiers d’entre eux ont choisi d’habiter dans les départemen­ts voisins tout en continuant de travailler en Ile-de-France, et un autre tiers, dans les grandes métropoles régionales. Même en imaginant que les perspectiv­es ouvertes par le télétravai­l se traduisent par un doublement de ce nombre de foyers sur le point de partir, cela ne changerait pas grand-chose aux besoins de logements actuels.

Le coût social de la cohabitati­on forcée

La seule évolution des comporteme­nts dont nous sommes sûrs, c’est la décohabita­tion et la réduction de la taille des ménages, autrement dit du nombre de personnes vivant sous le même toit. Dans beaucoup de zones tendues, la rareté des logements favorise une cohabitati­on forcée avec des pairs (la fameuse colocation), avec les parents, ou pour des couples qui voudraient se séparer, mais ne le peuvent pas matérielle­ment. En 2014, 45 % des jeunes âgés de 25 ans et nés à Paris vivaient encore chez leurs parents, contre 32 % en 1999. Cette cohabitati­on forcée représente un coût social important pour ceux qui la subissent. La crainte, légitime, des économiste­s et de la haute administra­tion est que trop construire ne soit un gâchis de ressources qui empêche d’investir dans des secteurs innovants, sans même parler du coût écologique de cette gabegie. Tout le monde a en tête l’Espagne et son million de logements bâtis en 2007, soit plus que l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni réunis, en grande partie vides près de quinze années plus tard.

Cette crainte macroécono­mique n’a pas cours aujourd’hui dans notre pays. Il est au contraire certain que la rareté de la constructi­on neuve conduit à une hausse des prix des logements anciens et donc participe à la folle montée de l’endettemen­t des ménages. Construire plus est la meilleure approche macroprude­ntielle possible. Avant même de réhabilite­r l’acte de construire, étape indispensa­ble pour faire accepter une meilleure densité, débarrasso­ns-nous de la peur de trop construire.

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