N’ayons pas peur de trop construire, par Robin Rivaton
Le recul de la mise en chantier de logements neufs alimente la pénurie dans les zones tendues et nourrit la bulle immobilière.
Le gouvernement a confié à François Rebsamen, maire de Dijon, la présidence de la commission pour la relance durable de la construction de logements, dont j’ai l’honneur d’être membre.
Si, en France, d’ordinaire, nous abusons de la relance comme pour conjurer notre condamnation à l’immobilisme, ce n’est pas vrai de l’habitat. Nous sommes le pays de l’OCDE qui a construit le plus de logements pour 1 000 habitants ces dix dernières années. Or le ralentissement depuis deux ans est brutal. Evidemment, quand il s’agit d’un secteur qui représente 6,4 % de la richesse intérieure, toute politique publique se doit d’être mesurée. Aussi la crainte est légitime de la part de l’Etat de trop stimuler la construction de logements.
La démographie est implacable
Il est souvent avancé que la chute récente de la natalité, conjuguée à la hausse des décès, justifierait de moins bâtir. Le solde naturel est au plus bas depuis 1945. Mais cette statistique nationale ne résiste pas à l’analyse locale. Quand l’Ile-de-France présente un excédent des naissances sur les décès de 80 000 personnes, le reste du territoire métropolitain affiche un déficit de 30 000 personnes. Autrement dit, il y a de plus en plus de territoires où la population diminue.
En 2006, 74 départements de France métropolitaine comptaient davantage de naissances que de décès. Ils sont moins d’une trentaine en 2020. La démographie est implacable.
La partie de la population la plus jeune se situe dans les métropoles, où se concentrent les naissances. Dans les zones où la population est âgée, les naissances sont, logiquement, faibles. Cet effet ciseau fait que le nombre de logements vacants va croître, mais qu’ils ne seront pas là où sont les besoins.
Le télétravail ne change pas la donne
Avec la crise sanitaire, la possibilité de télétravailler a réveillé les rêves d’une décentralisation de l’activité par le départ de ménages hors de l’Ile-de-France, et donc d’une moindre croissance du nombre de logements. Des esprits brillants se sont, à maintes reprises, essayés à deviner comment les modes de vie allaient évoluer. La réalité est qu’en 2013, le déficit migratoire de l’Ile-de-France avec le reste du pays était de 28 000 ménages, soit environ 80 000 personnes. Un cinquième du déficit était composé de retraités. Cette année-là, 22 000 ménages actifs ont donc quitté la région-capitale. Un tiers d’entre eux ont choisi d’habiter dans les départements voisins tout en continuant de travailler en Ile-de-France, et un autre tiers, dans les grandes métropoles régionales. Même en imaginant que les perspectives ouvertes par le télétravail se traduisent par un doublement de ce nombre de foyers sur le point de partir, cela ne changerait pas grand-chose aux besoins de logements actuels.
Le coût social de la cohabitation forcée
La seule évolution des comportements dont nous sommes sûrs, c’est la décohabitation et la réduction de la taille des ménages, autrement dit du nombre de personnes vivant sous le même toit. Dans beaucoup de zones tendues, la rareté des logements favorise une cohabitation forcée avec des pairs (la fameuse colocation), avec les parents, ou pour des couples qui voudraient se séparer, mais ne le peuvent pas matériellement. En 2014, 45 % des jeunes âgés de 25 ans et nés à Paris vivaient encore chez leurs parents, contre 32 % en 1999. Cette cohabitation forcée représente un coût social important pour ceux qui la subissent. La crainte, légitime, des économistes et de la haute administration est que trop construire ne soit un gâchis de ressources qui empêche d’investir dans des secteurs innovants, sans même parler du coût écologique de cette gabegie. Tout le monde a en tête l’Espagne et son million de logements bâtis en 2007, soit plus que l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni réunis, en grande partie vides près de quinze années plus tard.
Cette crainte macroéconomique n’a pas cours aujourd’hui dans notre pays. Il est au contraire certain que la rareté de la construction neuve conduit à une hausse des prix des logements anciens et donc participe à la folle montée de l’endettement des ménages. Construire plus est la meilleure approche macroprudentielle possible. Avant même de réhabiliter l’acte de construire, étape indispensable pour faire accepter une meilleure densité, débarrassons-nous de la peur de trop construire.