Le « social commerce », nouvel eldorado du cyberbusiness
Grâce à leurs outils de paiement, Facebook, Instagram ou TikTok sont devenus des maillons essentiels des transactions en ligne.
Hannah Romao arbore un grand sourire. Sous le soleil, elle fait un petit tour dans un jardin parisien avec son bébé confortablement installé dans une poussette double Yoyo. « Je pense que je suis prête pour le deuxième », lance-t-elle dans notre direction, détachée, comme si aucun smartphone ne la filmait. La mise en scène est léchée, et les quelques secondes captées sont aussitôt envoyées sur son compte Instagram, où la jeune femme affiche pas moins de... 143 000 abonnés. Hannah Romao n’est évidemment pas qu’une jeune maman en train de balader son poupon, c’est aussi une influenceuse, une sorte de VRP rémunérée par plusieurs marques pour mettre en avant leurs produits auprès de sa communauté. Aujourd’hui, c’est une poussette, mais hier c’était un sac à main d’une marque italienne, et demain ce seront des cosmétiques d’un grand groupe français. « Ça ne s’arrête pas », lâche-t-elle micro fermé.
Si Hannah Romao ne s’arrête pas, c’est parce que le « social commerce » ou « s-commerce », c’est-à-dire la vente sur les réseaux sociaux, est en plein boom. Jusqu’ici, les marques et leurs commerciaux 2.0 se servaient de Facebook, d’Instagram, de Pinterest ou de TikTok comme d’un tremplin publicitaire. Mais l’explosion des usages numériques pendant le confinement et la crise sanitaire ont changé la donne. « Il y a encore moins de deux ans, on n’y trouvait que de la promotion, de l’information, de la publicité en ligne, alors que maintenant on peut acheter directement via ces plateformes », explique Thibaud Clément, patron de Loomly, une société spécialisée dans le marketing numérique.
Ces dix-huit derniers mois, les réseaux sociaux ont mis en place une logistique appropriée. Facebook, qui avait déjà des shops – des petites boutiques en ligne pour les entreprises – dispose désormais d’un parcours complet de paiement intégré. Idem pour Instagram (propriété de Facebook) ou pour TikTok ; le consommateur achète un article à partir d’une simple photo ou d’un petit clip vidéo. « Je mets des liens directement vers les produits des marques », précise Hannah Romao. Ses abonnés, en majorité des femmes, n’ont plus qu’à passer commande, et le tour est joué ! Un avantage qui n’a évidemment pas échappé aux réseaux sociaux – qui augmentent leur trafic et multiplient
leurs recettes publicitaires – ainsi qu’aux entreprises, qui ont repéré le bon filon. « On est sur une croissance colossale », souligne Constance Grandclément-Chaffy, responsable marketing produits pour l’Europe du Sud chez Instagram.
C’est surtout dans les domaines de la mode et du luxe que ce nouveau type de transactions fait un véritable carton. Toute griffe qui se respecte se doit d’avoir une présence sur ces plateformes. « Le social commerce est un puissant accélérateur de nos ventes en ligne », confirme Asmita Dubey, directrice générale digital et marketing de L’Oréal.
Les réseaux sociaux donnent la possibilité aux clients de commenter, de dire s’ils aiment tel ou tel produit. Plusieurs marques comme Patagonia (vêtements de montagne) misent beaucoup sur ces nouveaux canaux. « Il y a une double dimension, conversationnelle et émotionnelle. Ça change énormément de l’e-commerce, où tout tourne uniquement autour du transactionnel », analyse Julien Maldonato, associé au cabinet Deloitte.
Signe de la tendance, le phénomène fait aussi tache d’huile chez les cousins de la distribution classique. A la fin de 2020, Carrefour a ainsi promu ses premières « social vidéos » pour vendre en direct des jouets et des voyages. « On s’est lancés pendant le deuxième confinement pour diversifier nos canaux de distribution », révèle Thomas Rudelle, directeur général du marketing numérique du groupe. Impossible pour l’entreprise de Massy (Essonne) de passer à côté de ce canal prisé des jeunes générations. Les vidéos du distributeur français sont déjà sur Youtube, mais la fonctionnalité pour passer commande n’est pas encore disponible. Cela devrait arriver bientôt.
Malgré l’engouement, le s-commerce n’atteint évidemment pas encore les niveaux des plateformes de vente en ligne, comme Amazon. Mais pour combien de temps ? Car les chiffres ont de quoi donner le tournis. Selon Forrester Research, ce type de transactions progresse à un rythme annuel supérieur à 100 %. En Chine, la tendance est encore plus impressionnante. Porté par les géants comme Douyin (le TikTok chinois), Kuaishou ou Taobao Live (filiale d’Alibaba), le social commerce est même en train de se confondre avec l’e-commerce. « Il y a un vrai mélange, une fusion des deux mondes. Des influenceurs font des vidéos pour des produits directement sur des plateformes d’e-commerce », ajoute l’expert.
Au début du printemps, Xinba, l’un des plus importants influenceurs chinois, a réalisé une session record sur Kuaishou : en douze heures, la star des petits écrans a réussi à provoquer un tsunami d’achats en ligne, puisque les internautes ont commandé pour plus de 250 millions de dollars de produits, avant tout cosmétiques et technologiques. L’équivalent de ce que génèrent les Galeries Lafayette parisiennes en un mois. Un tel phénomène n’est évidemment pas pour demain en Europe et aux Etats-Unis. Mais il y a des signes qui ne trompent pas, et même les géants de l’e-commerce en dehors de l’empire du Milieu s’y sont mis . Notamment le premier d’entre eux : Amazon. Après avoir testé Amazon Live en 2019, le groupe de Seattle a poussé en 2020 son service de vidéos promotionnelles qui permet aux millions d’entreprises présentes sur sa plateforme de proposer leurs produits via des liens d’achat. Depuis quelques mois, le groupe de Jeff Bezos fournit même des influenceurs aux entreprises qui seraient intéressées par ce nouveau business…W