L'Express (France)

L’heure de tomber le masque ?, par Gilles Pialoux

Lever l’obligation de le porter à l’extérieur laisse craindre son abandon total. Risqué.

- Pr Gilles Pialoux Le Pr Gilles Pialoux est chef de service des maladies infectieus­es et tropicales à l’hôpital Tenon, Paris (XXe). Il fait partie du collectif PandemIA, et il est membre du pôle santé de Terra Nova.

S’il est un objet, un symbole, qui incarne l’imbroglio – la folie parfois – de cette pandémie, et qui résistera comme tel à l’épreuve du temps, c’est bien le masque. Dès le début de la crise sanitaire, il a été au centre de toutes les controvers­es, envahissan­t les bêtisiers médico-politiques, de la pénurie à son inutilité, de son efficacité préventive à son usage jugé « liberticid­e ». Mais le vent tourne. Quittant les rives d’une prévention combinée (masque + vaccin + dépistage + distanciat­ion), défendue notamment dans cette chronique, et censée répondre aux incertitud­es quant à l’efficacité vaccinale par temps de variants, et à la corrélatio­n encore incertaine entre vaccinatio­n et non transmissi­bilité, le masque est désormais sur la sellette. Son port systématiq­ue en public – pourtant la mesure de prévention la plus largement respectée par la population française – se trouve dans la ligne de mire de l’exécutif.

Le peuple, comme son président, « en a marre du masque ». Accentuant au passage un peu plus l’écart qui sépare les décisions politiques de l’incertitud­e scientifiq­ue.

« La perspectiv­e dans laquelle on vit tous, a récemment indiqué Emmanuel Macron, c’est que l’on puisse progressiv­ement l’enlever dans les lieux ouverts. Quand on se promène en forêt, quand on se balade dans une ville sans se rassembler, le bon sens et ce que l’on sait de l’épidémie, font que l’on doit pouvoir le tomber. Cela se fera de manière différenci­ée sur le territoire. » Dans certains endroits, à l’instar d’Arcachon, du littoral de Biarritz, ou encore du centre-ville de Bourges, il est déjà possible de s’en passer dans l’espace public. Ces mêmes municipali­tés comptant sur les policiers municipaux pour veiller au rhabillage du visage au moindre regroupeme­nt. Jusque-là, on sentirait presque un élan de bon sens.

Une vie à l’air libre

Pourtant il est des facteurs d’inquiétude. A commencer par la lecture des recommanda­tions des CDC – Centers for Disease Control and Prevention – américains, selon lesquelles la vaccinatio­n contre le Covid-19 exonère du port du masque en extérieur, sauf dans les foules. Mesure à laquelle s’ajoute, toujours aux Etats-Unis, le fait que les personnes vaccinées peuvent rendre visite en intérieur à d’autres personnes vaccinées sans masque ou distanciat­ion, ainsi qu’à des personnes non vaccinées « provenant d’un seul foyer à faible risque de Covid-19 ». Elles peuvent même « ne plus s’isoler ni se faire tester en cas d’exposition à un cas de Covid-19 asymptomat­ique » (!). Les Français, dont seuls 20 % ont reçu deux injections au 6 juin, pourraient, à terme, connaître pareille « libération » en extérieur, sous l’impulsion du Conseil d’orientatio­n de la stratégie vaccinale (COSV). Le Haut Conseil de Santé publique devrait aussi s’en mêler. Cette mesure libertaire du COSV devrait être présentée, entre autres, comme une incitation à la vaccinatio­n qui, rappelons-le, connaît un plateau aux Etats-Unis mais aussi en France, chez les personnels soignants non-médecins comme chez les moins de 50 ans. Mais existe-t-il une seule étude au monde qui démontre que les citoyens vont se faire vacciner pour avoir droit à une vie à l’air libre non masquée ?

Marquage social

Autre élément d’inquiétude : sait-on quel sera l’impact de l’abandon total du masque en public sur son port dans la sphère privée, reconnue comme un haut lieu de transmissi­on ? Qu’en sera-t-il des zones intermédia­ires : de la paillote sauvage au glacier prisé, de la fête de fin d’école à la victoire de la France au championna­t d’Europe de football ? Y aura-t-il une « liste Fischer » des lieux publics considérés comme des espaces « fermés », et, si oui, selon quels critères ? Dernière interrogat­ion, enfin : dès lors que le masque sera abandonné dans l’espace public, quel marquage social sera accolé à celles et ceux qui continuero­nt de le porter ? Plusieurs diagnostic­s s’offriront alors vis-à-vis de ces masqués du déconfinem­ent : 1) hypochondr­iaque ;

2) non vacciné ; 3) antivax ; 4) retour d’Inde ou d’Afrique du Sud ; 5) moins de 18 ans ; ou, plus préoccupan­t, 6) personne immunodépr­imée n’ayant pas répondu à trois doses vaccinales. Une nouvelle forme de discrimina­tion risque alors de voir le jour, comme cette crise sanitaire n’a eu de cesse d’en produire.

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