L’heure de tomber le masque ?, par Gilles Pialoux
Lever l’obligation de le porter à l’extérieur laisse craindre son abandon total. Risqué.
S’il est un objet, un symbole, qui incarne l’imbroglio – la folie parfois – de cette pandémie, et qui résistera comme tel à l’épreuve du temps, c’est bien le masque. Dès le début de la crise sanitaire, il a été au centre de toutes les controverses, envahissant les bêtisiers médico-politiques, de la pénurie à son inutilité, de son efficacité préventive à son usage jugé « liberticide ». Mais le vent tourne. Quittant les rives d’une prévention combinée (masque + vaccin + dépistage + distanciation), défendue notamment dans cette chronique, et censée répondre aux incertitudes quant à l’efficacité vaccinale par temps de variants, et à la corrélation encore incertaine entre vaccination et non transmissibilité, le masque est désormais sur la sellette. Son port systématique en public – pourtant la mesure de prévention la plus largement respectée par la population française – se trouve dans la ligne de mire de l’exécutif.
Le peuple, comme son président, « en a marre du masque ». Accentuant au passage un peu plus l’écart qui sépare les décisions politiques de l’incertitude scientifique.
« La perspective dans laquelle on vit tous, a récemment indiqué Emmanuel Macron, c’est que l’on puisse progressivement l’enlever dans les lieux ouverts. Quand on se promène en forêt, quand on se balade dans une ville sans se rassembler, le bon sens et ce que l’on sait de l’épidémie, font que l’on doit pouvoir le tomber. Cela se fera de manière différenciée sur le territoire. » Dans certains endroits, à l’instar d’Arcachon, du littoral de Biarritz, ou encore du centre-ville de Bourges, il est déjà possible de s’en passer dans l’espace public. Ces mêmes municipalités comptant sur les policiers municipaux pour veiller au rhabillage du visage au moindre regroupement. Jusque-là, on sentirait presque un élan de bon sens.
Une vie à l’air libre
Pourtant il est des facteurs d’inquiétude. A commencer par la lecture des recommandations des CDC – Centers for Disease Control and Prevention – américains, selon lesquelles la vaccination contre le Covid-19 exonère du port du masque en extérieur, sauf dans les foules. Mesure à laquelle s’ajoute, toujours aux Etats-Unis, le fait que les personnes vaccinées peuvent rendre visite en intérieur à d’autres personnes vaccinées sans masque ou distanciation, ainsi qu’à des personnes non vaccinées « provenant d’un seul foyer à faible risque de Covid-19 ». Elles peuvent même « ne plus s’isoler ni se faire tester en cas d’exposition à un cas de Covid-19 asymptomatique » (!). Les Français, dont seuls 20 % ont reçu deux injections au 6 juin, pourraient, à terme, connaître pareille « libération » en extérieur, sous l’impulsion du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale (COSV). Le Haut Conseil de Santé publique devrait aussi s’en mêler. Cette mesure libertaire du COSV devrait être présentée, entre autres, comme une incitation à la vaccination qui, rappelons-le, connaît un plateau aux Etats-Unis mais aussi en France, chez les personnels soignants non-médecins comme chez les moins de 50 ans. Mais existe-t-il une seule étude au monde qui démontre que les citoyens vont se faire vacciner pour avoir droit à une vie à l’air libre non masquée ?
Marquage social
Autre élément d’inquiétude : sait-on quel sera l’impact de l’abandon total du masque en public sur son port dans la sphère privée, reconnue comme un haut lieu de transmission ? Qu’en sera-t-il des zones intermédiaires : de la paillote sauvage au glacier prisé, de la fête de fin d’école à la victoire de la France au championnat d’Europe de football ? Y aura-t-il une « liste Fischer » des lieux publics considérés comme des espaces « fermés », et, si oui, selon quels critères ? Dernière interrogation, enfin : dès lors que le masque sera abandonné dans l’espace public, quel marquage social sera accolé à celles et ceux qui continueront de le porter ? Plusieurs diagnostics s’offriront alors vis-à-vis de ces masqués du déconfinement : 1) hypochondriaque ;
2) non vacciné ; 3) antivax ; 4) retour d’Inde ou d’Afrique du Sud ; 5) moins de 18 ans ; ou, plus préoccupant, 6) personne immunodéprimée n’ayant pas répondu à trois doses vaccinales. Une nouvelle forme de discrimination risque alors de voir le jour, comme cette crise sanitaire n’a eu de cesse d’en produire.