Lettre à Damien Tarel, par Sylvain Fort
Message personnel à l’intention de l’agresseur d’Emmanuel Macron, figure d’une jeunesse qui préfère la gifle au vote.
Vous avez giflé, ou tenté de gifler, le président que j’ai servi. Voilà qui devrait mettre une bonne distance entre nous. D’abord parce qu’en vous en prenant au président de la République, vous avez agressé un homme que je connais, dont je sais les vertus, et pour qui j’ai de l’amitié. Ensuite, parce que vous vous en êtes pris à l’homme que les Français ont choisi pour présider à leur destinée pendant cinq ans et qui, à ce titre, possède sans conteste une dignité spéciale dans notre vie nationale. Votre geste fut stupide et criminel. La justice a fait son travail avec célérité. Je crois pourtant que l’histoire ne s’arrête pas là. Car votre geste fut prémédité et politique. Les accointances idéologiques qu’a révélées la perquisition, la présence d’armes, vos admirations troubles, votre idée de provoquer le chef d’Etat en duel sur le pré (moyennant quoi vous avez frappé un homme qui vous tendait la main, avouez que ce n’est pas très chevaleresque), votre situation professionnelle et économique ont construit le portrait d’un homme égaré politiquement et socialement. Ni l’ironie ni le mépris social ne vous ont été épargnés
– et pourtant, il est évident que votre geste a répondu à un ressort qui anime de façon croissante une part de la jeunesse. Cela mérite au moins réflexion.
Une tradition de l’Action française
Votre idée, si j’ai bien compris, c’est qu’il existait jadis un ordre social régi peu ou prou par les règles de la chevalerie française, en comparaison duquel la République d’aujourd’hui n’est que déliquescence, méritant par là qu’on giflât son plus haut représentant au cri de « Montjoie ! Saint-Denis ! » Tout cela relève de la vieille tradition de l’Action française, avec sa haine de la « Répoubelle » et son culte de la gifle ou du coup de poing – que l’on retrouve également dans Manifeste du futurisme de l’Italien Marinetti, publié en 1909. A cela, on aurait pu répondre dignité républicaine, réprobation de toute violence, primauté du dialogue démocratique. Or qu’a-t-on vu ? A votre « Montjoie ! Saint-Denis ! » a répondu cette formule : « Gifler le président, c’est gifler la République », reprise en choeur par la quasi-totalité de la classe politique. Cette formule est classique : qu’un policier, un maire, un professeur, un pompier, etc., soient agressés et « c’est la République qu’on agresse ».
Mais dans ce cas précis, la tournure prend bien plus de sens encore. Elle révèle cette certitude que le président, au soir de son élection, revêt une dimension supérieure. Au corps charnel et personnel vient s’ajouter, magique et invisible, le corps moral (pour ne pas dire spirituel) et symbolique. Ce que faisait jadis l’onction divine, c’est aujourd’hui l’onction électorale qui le fait. C’est la vieille thèse des deux corps du roi, que votre geste a soudain revivifiée. Auriez-vous cru qu’un tel geste produirait, chez les politiques et les commentateurs, cette surenchère de considérations mystiques ? Cette abondance de débats sur la sacralité du président ? D’agresseur, vous êtes devenu profanateur. On vous reproche non une gifle, mais un sacrilège. Non une violence, mais une violation. La justice même a validé cette conception en vous plaçant hors du cercle sacré de la République : elle vous a destitué de vos droits civiques pour trois ans.
Faribole des deux corps du roi
Cette protestation sacrale en dit tellement long sur notre pays. La vérité, c’est que les emportements, les querelles d’ego, le délitement des partis, l’incapacité à s’entendre sur l’essentiel, l’invective, le mensonge, l’inefficacité, la légèreté, l’égotisme, le caquetage, le cautionnement des violences, les simulations de lynchage, les provocations sont le quotidien de l’arène politique, d’où dignitas et gravitas sont le plus souvent absentes. Sacrée, la fonction présidentielle ? Non : vilipendée, foulée aux pieds, corrodée par le soupçon et l’injure au sein même de la classe politique. Voici qu’une gifle survient et le paravent de la sacralité semble soudain le refuge commode d’un corporatisme politicien mal déguisé. Comme est donc persistant ce sentiment d’exception sacrale qui hante encore nombre d’élus ! Il en est même qui pensent que leur personne est sacrée. D’autres estiment que l’écharpe tricolore est un viatique qui les dispense de la moindre discipline personnelle. D’où vient que cette faribole des deux corps du roi intoxique encore notre République ? Pourquoi encore et toujours ces fils tendus artificiellement entre la République et un Ancien régime devenu un rêve petit-bourgeois ? Quelle est cette étrange mystique ? Au lieu de débattre de la sacralité présidentielle, nous aurions pu nous interroger sur cette jeunesse à laquelle vous appartenez, qui préfère la gifle au bulletin de vote. Nous aurions pu vous redire au passage que l’unique étincelle sacrée réside en réalité dans le coeur des citoyens. Et nous demander pourquoi cette étincelle s’est étiolée dans l’abstention et le renoncement politiques qui, aujourd’hui, caractérisent, élection après élection, la jeunesse française. On peut tant qu’on voudra, depuis nos chaires de grands prêtres, la blâmer d’avoir cédé à l’aboulie et à l’anomie. Ce n’est pas ainsi qu’on lui rendra l’espérance, mais plutôt en retrouvant dans notre histoire, nos textes fondateurs, nos grandes figures, des raisons renouvelées de perpétuer la France, et la source vive d’une concorde possible.
Car cette source seule est, pour le coup, sacrée.