L'Express (France)

Volontaire en Haïti

Avec Fissuré, salvateur de sa mission à Port-au-Prince.

- M. P.

Il s’est tu pendant dix ans et puis il s’est mis à écrire. Un flot continu, trois mois durant. Un torrent de mots pour dire les maux, pour ouvrir le dialogue avec ses proches, et continuer le combat. Son combat, ce fils de Meaux (Seine-et-Marne) l’a commencé à 23 ans, en 2008 en s’engageant, diplôme de médiateur culturel en poche, comme volontaire à Haïti auprès de la Délégation catholique pour la coopératio­n (DCC). Sa mission ? Assurer le soutien scolaire et les sorties des enfants des rues recueillis au sein du foyer de réinsertio­n de la paroisse SaintAntoi­ne de Port-au-Prince. Il venait de prolonger sa mission de six mois lorsque survint le séisme du 12 janvier 2010 ; des champs de blessés, quelque 230 000 morts, plus de 1 million de sans-abri, la désolation… Plus tard, il s’occupera de mineurs isolés du côté de la Goutte-d’Or, « petits Marocains » défoncés à la colle du matin jusqu’au soir. Il en ressort lessivé, disloqué, éparpillé. Le bon samaritain tombe alors le costume, s’enfonce dans la culpabilit­é, finit par prendre la plume. Exutoire salvateur… « Assemblant les pièces, je me répare », écrit-il dans son premier livre, Fissuré, formidable témoignage sur Haïti, son incroyable énergie face aux drames incessants (cyclones, faim, guerre civile), et sur les heurs et malheurs du métier d’éducateur.

« C’est beau une ville qui s’écroule, n’empêche ! […] Grandiose ! Envie d’applaudir. » Ce qui frappe, avant tout, dans le récit d’Odéric Delachenal, c’est l’absolue sincérité de l’auteur. L’ancien scout n’est pas du genre béni-oui-oui. S’il s’intègre sans problème, apprend le créole, passe ses soirées au Champ-de-Mars, le coeur battant de la ville, partage avec ses compagnons sa maigre indemnité de volontaire (les caisses du foyer ayant été momentaném­ent vides), s’occupe sans relâche des petits, il lui arrive aussi de s’enflammer lorsque, dans la rue, un quémandeur le harcèle : « Je ne suis pas votre père, c’est pas moi qui vous ai mis au monde, pas responsabl­e de vos galères, explose-t-il. Plaignez-vous à vos dirigeants qui se foutent de votre gueule […]. Ce pays est foutu. Ça fait trente ans qu’on les pourrit avec “l’aide au développem­ent”, une came qui leur ramollit le cerveau. »

Pourtant, le 12 janvier 2010, il échappe à l’attention de l’ambassadeu­r de France, qui veut le faire évacuer, comme tous ses compatriot­es. Quatre mois « en coloc avec la mort » l’attendent, tandis que les prophètes de la dernière heure, invoquant la punition divine, se déchaînent et que de nouvelles expression­s en créole se multiplien­t : « goudougoud­ou » (le tremblemen­t de terre), « dekonn » (décombres), « fisire » (fissuré)… Ecrit avec le coeur, Fissuré offre l’étonnant tableau d’un jeune homme aux prises avec l’apprentiss­age du savoir dire non. Exemplaire… FISSURÉ PAR ODÉRIC DELACHENAL. MÉTAILIÉ, 144 P., 14,20 €.

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