« Dessine-moi l’Afrique »
Malgré la répression, ils luttent pour le droit à l’irrévérence et à la caricature : les 27 dessinateurs de presse réunis dans l’album Africa démontrent la vitalité créative de leur continent.
Ils sont plus habitués à remplir les cases des Unes qu’à nourrir les manchettes des journaux. A l’exception du carnage de Charlie Hebdo en 2015 bien sûr, on aura rarement autant parlé des dessinateurs de presse que depuis le début de cette année 2021 ; à commencer par le départ fracassant de Xavier Gorce du Monde, refusant de s’excuser après la publication, le 19 janvier, d’un dessin sur l’inceste ayant entraîné l’indignation des réseaux sociaux – il s’en explique dans Raison et dérision (Gallimard, coll. « Tracts »). Puis ce furent les retraits, volontaires, fin mars début avril, de Willem et de Plantu – le premier, 79 ans, après quarante de collaboration à Libération, le second, 70 ans, au terme de cinq décennies au Monde.
Si la dessinatrice Coco remplace Willem à Libé, le quotidien du soir décide de puiser dans le vivier de Cartooning for Peace, le réseau international cofondé par Plantu en 2006, riche de quelque 200 membres. « Cela faisait dix ans que je voulais me faire remplacer, nous confie Plantu. Je donnais des noms, comme Aurel, mais aucun n’a été retenu. Finalement, Jérôme Fenoglio, le directeur, a accepté ma proposition de faire tourner les dessinateurs de Cartooning. » Deuxième motif de satisfaction pour le célèbre ancien caricaturiste du Monde (et de L’Express) : la publication, ces jours-ci, d’un beau livre, Africa, signé René Guitton, consacré aux 27 dessinateurs africains, réunis en mai 2019 à Addis-Abeba (Ethiopie) lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Une belle vitrine de leur vitalité créatrice et humoristique. Et un superbe hommage à tous ces hommes et femmes qui luttent avec leurs crayons « pointus » pour le droit à la dérision et à la critique dans un continent secoué par les putschs et où la censure et les tabous continuent de brider les irrespectueux.
Ainsi de l’Algérie, où les emprisonnements se multiplient, comme ceux de Dilem et de Nime pour offense ou insulte au chef de l’Etat et à l’armée. « Le boulot de dessinateur de presse est casse-gueule en général, et encore plus en Afrique », rappelle Plantu, aujourd’hui président d’honneur de Cartooning for Peace. Gado et Victor Ndula au Kenya, Didier Kassaï en République centrafricaine, Tayo au Nigeria…, on ne compte plus les artistes « impertinents » qui font périodiquement l’objet d’intimidations. Jusqu’à devoir choisir l’exil, comme l’Egyptien Sherif Arafa, le Congolais Willy Zekid, naviguant entre la France et la Côte d’Ivoire, Tayo réfugié à Londres, le Tchadien Achou résidant en France, ou encore le mystérieux Z, « le dessinateur-kamikaze » de Tunisie, au domicile inconnu.
Reste qu’avec les réseaux sociaux et les blogs, Internet a bouleversé l’univers du dessin. « Le caricaturiste est plus libre qu’il n’a jamais été, écrit René Guitton. Il publie sans frontières et s’adresse en un clic à une masse de lecteurs. » Plus libre, mais tout aussi désargenté… « Grâce aux réseaux, j’ai pu faire connaître mon boulot ; mais ce n’est qu’un tremplin, après il faut aussi gagner sa vie », nous confirme Nadia Khiari, alias Willis from