Les assassins du front républicain, par François Bazin Les clefs du pouvoir
Comme principe, celui-ci ne constitue plus un élément structurant de la vie politique française.
Le front républicain, on y revient parce que cette semaine d’entre-deux tours lui conserve, notamment dans le Sud et en Bourgogne-Franche-Comté, une actualité concrète, mais pas seulement. Le dévissage de ce qui constituait jusqu’à présent une des procédures structurantes de la vie politique française a été entamé en amont du scrutin par des porte-parole attitrés du président – Stéphane Séjourné et Gabriel Attal – sans que leurs propos ne suscitent l’émotion qu’on aurait pu attendre. L’indifférence tranquille avec laquelle ces annonces ont été accueillies alors qu’elles venaient directement de l’Elysée signait une complicité générale. Dire, sur le mode de l’évidence, que le front républicain était « mort » ou pour le moins en phase terminale, c’était en effet le briser quand bien même on faisait mine de le réinventer.
Des traces de ce front, il en reste encore qui apparaissent depuis quelques heures, au moins dans les mots. Mais si on lève le nez, on voit bien qu’au-delà des déclarations d’intentions dictées par les rapports de force, ce qui s’est déglingué n’est pas anecdotique. Le sel – et, partant, l’efficacité – de cette procédure de rassemblement face au danger lepéniste, partout où celui-ci demeure – même si l’abstention parfois peut le masquer – était son caractère d’automaticité. Il y avait là quelque chose d’immédiat qui, aux régionales, passait par le retrait sans conditions des listes républicaines minoritaires.
Le simple fait d’avoir dit, en amont du scrutin, qu’il puisse y en avoir quelques-unes a suffi à achever, quoi qu’il arrive, l’ensemble d’une construction présentée il y a peu comme l’ultime rempart d’une démocratie menacée. Ceux qui ont pris cette responsabilité ont-ils réalisé les conséquences de leur initiative à l’approche d’échéances électorales d’une toute autre importance ? Ont-ils mesuré que, pour d’hypothétiques avantages de court terme, ils mettaient en péril des intérêts autrement plus sérieux lors de la prochaine présidentielle ?
La fusion plutôt que le retrait
Pour tenter de comprendre – si tant est qu’il y ait quelque chose à comprendre... –, reprenons ici les arguments avancés par les artificiers macronistes et repris localement par quelques écolos. Le premier est que les électeurs respectent de moins en moins les consignes – ce qui est vrai. Mais c’est, on l’avouera, un raisonnement paradoxal, pour de prétendus responsables politiques, que d’abaisser les digues au moment même où l’attraction lepéniste est loin d’avoir disparu.
Le deuxième argument – celui-là assez spécieux – est que le front républicain, là où il a été hier mis en place, n’a pas empêché par la suite la progression lepéniste
– ce qui n’est d’ailleurs pas vérifié. Mais c’est surtout lui attribuer une fonction qu’il n’a jamais eue puisqu’il a été conçu pour stopper ponctuellement et non pour freiner dans la durée.
Reste un argument qui celui-là est plus sérieux quand ledit front s’applique au niveau régional et qu’il laisse de facto pour six ans le monopole de l’opposition dans les nouvelles assemblées aux élus du Rassemblement national. Pourquoi alors ne pas procéder, comme l’a répété dimanche soir le délégué général de LREM, par fusion des listes plutôt que par retrait ? Sauf que la fusion, par principe, n’a rien d’automatique.
Elle suppose une part de négociation – mais sur quelle base ? Elle peut aboutir – ou non. A partir de là, le front républicain devient une option et n’est plus un réflexe. Il perd l’essentiel de sa raison d’être. Ce qui est probablement l’objectif recherché.
Une révolution hasardeuse
Ce qui l’est moins, en revanche, c’est l’engrenage.
La simple révision « technique » que vantent les promoteurs de la fusion devient, si on l’applique en bonne logique à la présidentielle, une révolution hasardeuse. La seule fusion possible, dans l’entre-deux tours de ce type d’élection, dès lors qu’un des deux finalistes est un danger pour la République, est une alliance programmatique étrangère aux traditions de la Ve République doublée, le cas échéant, d’un accord de circonscriptions en vue des législatives. Pourquoi pas, mais est-ce un objectif réaliste pour une négociation qui devra nécessairement se dérouler à ciel ouvert en quelques jours à peine ? Quand la page des régionales sera refermée, c’est sur ce point aussi qu’on voudra entendre les stratèges macronistes, à commencer par le premier d’entre eux, afin de distinguer ce qui tient pour eux de la petite tactique de ce qui relève de la vraie stratégie.
On peut toujours rêver mais il ne fait pas de doute que leur réponse n’arrivera pas de sitôt, si tant est qu’ils en aient une en poche.