L'Express (France)

Abstention : la cote d’alerte démocratiq­ue

Les facteurs sont nombreux qui expliquent l’abstention. Mais cette dernière traduit aussi un abandon de l’effort citoyen.

- PAR ANNE ROSENCHER

Ala fin, qu’est-ce que la démocratie ? « Le gouverneme­nt du peuple exerçant la souveraine­té sans entrave », définissai­t de Gaulle. Avec 68 % d’abstention lors du premier tour de ces régionales et départemen­tales, la désaffilia­tion des Français de la chose politique atteint une sorte de cote d’alerte démocratiq­ue. Il existe bien sûr de multiples facteurs pour expliquer cette désaffilia­tion. Entre autres : une partie croissante des citoyens considèren­t désormais que, sur un certain nombre de sujets cruciaux, leur vote n’a plus d’effet, car il ne se traduit plus en conséquenc­es pratiques sur le cours des choses. Ce n’est pas « souveraini­ste » que de le dire : les nouvelles règles induites par les chambardem­ents des dernières décennies ont créé un sentiment d’impuissanc­e électorale que les partis politiques traditionn­els feraient bien de prendre en compte plutôt que de le disqualifi­er ou le diaboliser, car il explique une grande part de la mélancolie démocratiq­ue qui travaille le pays. Ce sentiment est au reste accentué par les nouvelles modalités de notre débat public – sur les réseaux sociaux et les chaînes d’info en continu, notamment –, qui enveloppen­t la réalité dans une tornade de commentair­es contradict­oires et d’éléments de langage, brouillent le discerneme­nt et finissent par laisser penser que rien n’est vrai et que tout se vaut.

Alors oui, il y a mille erreurs et fausses routes à analyser. Nous l’avons fait ici ; nous ne manquerons pas de le refaire demain. Néanmoins, osons ajouter que cet exercice critique ne devrait pas se limiter aux élites et aux corps intermédia­ires. Il existe désormais chez certains Français une grande paresse de savoir. Une complaisan­ce individual­iste, consistant à se réfugier dans sa bulle de certitudes et de conviction­s, notamment sur les réseaux sociaux, qui est en réalité un abandon de citoyennet­é. Car la citoyennet­é implique des efforts. Elle implique notamment, parfois, d’aller voter malgré la colère, et malgré l’offre politique qui ne satisfait pas. Aggravant l’aquoibonis­me ambiant, une rengaine s’est installée, très en vogue dans plusieurs camps du débat intellectu­el et militant, qui prétend que la France serait déjà dans une sorte de dictature. Séduisant… mais faux. Malgré les défauts de l’époque, nous sommes encore en démocratie. Et la démocratie se défend par l’exercice de la citoyennet­é.

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