L'Express (France)

Vade-mecum pour les réformes

Mises en sommeil depuis le début de la pandémie, elles font leur grand retour. Avec, en tête de gondole, les retraites.

- PAR BÉATRICE MATHIEU

C’est une vieille chanson dont on avait presque oublié le refrain. Une mélodie irritante pour certains, réconforta­nte pour d’autres. Sur fond de déconfinem­ent et de redémarrag­e de l’activité, revoici l’air des réformes. Pendant plus d’un an, personne n’a même osé le fredonner, tant la vie économique était mise sous cloche, anesthésié­e par la violence de la pandémie et les monceaux d’argent public injectés pour contrer la récession. Aujourd’hui, le mot « réforme » est de nouveau sur toutes les lèvres. En un rien de temps, les opposition­s et les lignes de fracture du « monde d’avant » se sont redessinée­s, preuve que la parenthèse de la crise sanitaire est en train de se refermer.

A un an de l’élection présidenti­elle, pas question pour l’exécutif de laisser penser qu’il se borne désormais à gérer les affaires courantes. En quelques semaines, Emmanuel Macron a troqué la blouse blanche d’épidémiolo­giste en chef pour le costume sobre de réformateu­r. Avec, en ligne de mire, le big bang des retraites – la mère des réformes, affirmait-il lors de la campagne présidenti­elle de 2017 – mis en sommeil au début de la pandémie, en mars 2020.

La séquence a été soigneusem­ent orchestrée. Premier acte : tout début juin, lors d’un déplacemen­t dans le Lot, à Saint-Cirq-Lapopie, le chef de l’Etat laisse entendre que des « décisions difficiles » pourraient être prises au cours de l’été. Dans la foulée, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances, remet une pièce dans la machine dans une interview au JDD, affirmant qu’il faut « poursuivre les réformes structurel­les. […] Nos compatriot­es ont compris que l’avenir de notre système de répartitio­n en dépendait ».

Deuxième acte : le 10 juin, le Conseil d’orientatio­n des retraites publie ses nouvelles projection­s, confirmant le déséquilib­re du régime général, quels que soient les scénarios retenus, au moins jusqu’en 2040. Troisième acte, quelques jours plus tard, le 14 juin : la Cour des comptes, dans un épais document portant sur l’avenir des finances publiques, insiste lourdement sur la nécessité de relever l’âge de départ à la retraite. Enfin, le dernier acte, le mercredi 23 juin, avec la publicatio­n du rapport de la commission Blanchard-Tirole, mise sur pied par Emmanuel Macron au début de l’été 2020, et chargée de réfléchir sur les grands défis économique­s de la France dans les années qui viennent. Une « bible » de plus de 500 pages : sa rédaction était bouclée depuis décembre dernier mais l’Elysée n’a eu de cesse d’en reporter la sortie. En pleine pandémie, ça n’était pas vraiment le moment de parler des « sujets qui fâchent ». Or ce rapport, aux allures de vade-mecum pour un programme présidenti­el, en regorge.

D’abord parce que les thèmes choisis par la vingtaine d’économiste­s français et étrangers réunis par le Prix Nobel Jean Tirole et l’ancien chef économiste du FMI Olivier Blanchard sont aussi clivants qu’inflammabl­es : réchauffem­ent climatique, inégalités, vieillisse­ment de la population. Ensuite parce que les recommanda­tions que la fine équipe formule ont de quoi raviver toutes les colères sociales de ces années passées.

Le réchauffem­ent climatique ? Impossible d’entamer une véritable transition verte sans passer par la case de la taxe carbone, à l’origine de la crise des gilets jaunes. Une mesure « régressive », reconnaiss­ent les auteurs, dont la recette devra forcément servir à l’indemnisat­ion des perdants, c’est-à-dire les ménages les plus défavorisé­s. Les inégalités de patrimoine ? Impossible de ne pas remettre à plat la fiscalité du capital et notamment le système d’imposition des succession­s – un tabou en France – totalement mité par les abattement­s. Là encore, le fruit de cette taxe devra être fléché vers les jeunes les plus en difficulté. Le vieillisse­ment démographi­que ? Impossible de faire l’économie d’une bascule du régime général vers un système à points, assortie d’un recul à 62 ans de l’âge minimal de départ à la retraite Mais, là aussi, pour rendre la réforme juste et acceptable, il faudra sans doute imaginer un système de dons de points supplément­aires pour les plus bas revenus afin de régler le problème des petites pensions. « Ces trois défis sont des bombes à retardemen­t. Leurs effets immédiats sont bien plus faibles que leurs effets de long terme, ce qui incite les décideurs à temporiser. Mais le coût pour y répondre augmente au fil du temps », avertit le duo Tirole-Blanchard en préambule du rapport.

Reste à savoir si le corps social est prêt aujourd’hui à une telle thérapie. Trop de renoncemen­ts et de mutations bâclées ou mal ficelées ont érodé le consenteme­nt au changement. D’autant que la réforme a souvent été aussi confondue avec l’austérité. A tort. Surtout, l’épisode du « quoi qu’il en coûte » est passé par là. Comment faire comprendre à une opinion publique chamboulée par plus d’une année de pandémie qu’il faut rééquilibr­er le régime de retraites quand l’Etat a su trouver en quelques semaines des centaines de milliards d’euros pour sauver les entreprise­s, rendre gratuites les campagnes de test ou payer les salaires de millions de Français en chômage partiel ? Quand l’argent magique devient maléfique…

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