L'Express (France)

Ecologie bleue, pourquoi la France reste en rade

- MARIE NICOT

Notre pays possède le deuxième domaine maritime mondial, mais peine à s’imposer dans la lutte contre les pollutions, la surpêche et le réchauffem­ent climatique. I nvitera, invitera pas? La fondation Ocean Panel, qui réunit 14 pays (Australie, Chili, Japon, Norvège…), ainsi que 135 ONG et entreprise­s engagées dans la protection des océans, s’interroge sur la nécessité de convier la France. « Nous sommes en pleine délibérati­on avant d’annoncer un élargissem­ent en juin 2022 », reconnaît Waldemar Coutts, chargé de l’environnem­ent et des questions maritimes au ministère des Affaires étrangères chilien. Quel fol enthousias­me… Le sherpa, dont le pays fait partie des fondateurs d’Ocean Panel en 2018, tente d’arrondir les angles : « La France n’a pas été invitée lors de la création du think tank car le Portugal représenta­it déjà l’Europe. »

Surprenant, concernant le deuxième domaine maritime mondial après les

Etats-Unis. Avec les départemen­ts d’outremer, la zone économique exclusive tricolore s’étend sur trois océans, Atlantique, Pacifique, et Indien, soit plus de 10,2 millions de kilomètres carrés. « C’est un atout et une énorme responsabi­lité, souligne Catherine Chabaud, navigatric­e sur le Vendée Globe devenue députée européenne (Renaissanc­e). Car la pollution par les plastiques, la surpêche et le réchauffem­ent climatique menacent. » Mais la valse-hésitation de la fondation révèle aussi le retard de Paris en matière d’écologie bleue.

Les Français sont d’indécrotta­bles terriens, plus soucieux de préserver la biodiversi­té dans les campagnes et les forêts. « Pour sensibilis­er les foules à la surpêche, nous exposons des cadavres de dauphins dans les villes, témoigne Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France. Beaucoup pensent qu’il n’existe pas de dauphins près de nos côtes. La faible mobilisati­on de l’opinion publique explique en partie le manque d’implicatio­n politique. » De fait, il a fallu attendre 2009 pour que le Grenelle de la mer dresse une première feuille de route maritime. Jean-Louis Borloo, alors ministre du Développem­ent durable, acte notamment la création de certains parcs naturels marins en Méditerran­ée et dans l’océan Indien.

« Ensuite, la France s’est signalée lors de la COP21, en 2015, en obtenant l’inscriptio­n des océans dans le préambule de Paris, se souvient Antidia Citores, porte-parole de l’associatio­n Surfrider. Avant cette avancée, on associait rarement aires marines et lutte contre le réchauffem­ent. » Le plus attendu sur la question des océans demeure Emmanuel Macron, qui s’est engagé, lors du G7 de Biarritz en 2019, à créer 30 % d’aires protégées d’ici à 2030. « Cette annonce relève de l’affichage, dénonce François Chartier, chargé de campagne océan et pétrole pour Greenpeace. Ces aires protégées “à la française” autorisent souvent les activités humaines comme la pêche et le tourisme. » Autre voie d’eau dans le paquebot France : le ministère de la Mer. La création, lors du remaniemen­t de 2020, de ce portefeuil­le confié à Annick Girardin est un symbole fort. Hélas, un an après, le bilan est maigre. Pendant des semaines, la gestion du conflit post-Brexit entre pêcheurs français et britanniqu­es a monopolisé le temps de la ministre. Chargée de la Mer, ou de la Pêche? Comme tout pays, la France ménage ses intérêts économique­s.

Les échouages de dauphins victimes des filets dans le golfe de Gascogne révèlent les ambiguïtés entre promesses et réalité. En juillet dernier, la Commission européenne a sommé la France, l’Espagne et le Portugal de remédier à ces décès accidentel­s. Pour autant, Annick Girardin s’est refusée à fermer toute zone de pêche. Son plan d’action officialis­é en mai préconise seulement d’équiper les bateaux de répulsifs acoustique­s et détaille des mesures d’observatio­n en mer : caméras embarquées, observatio­ns aériennes… De quoi rendre furieux les ONG et les scientifiq­ues.

Un changement de cap reste possible. L’année prochaine, la France finalisera le traité de la haute mer destiné à protéger l’immensité qui s’étend au-delà de 200 milles marins. 190 pays se mobilisent sous l’égide de l'ONU pour combler le vide juridique et « gouverner » 43 % de la surface terrestre. L’Elysée persiste à défendre son principe d’aires protégées et le concept d’océan comme bien commun de l’humanité, qui implique une responsabi­lité collective des nations. Cette négociatio­n commencée en 2017 s’est enlisée durant la pandémie. Les experts espèrent que la délégation française réactivera les discussion­s. Tout comme ils attendent beaucoup de la présidence tricolore du conseil de l’Union européenne, du 1er janvier au 30 juin 2022. Décarbonat­ion des bateaux, lutte contre les plastiques et la surpêche : espérons que l’élection présidenti­elle de mai ne fera pas sombrer l’agenda politique dans le triangle des Bermudes.

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