Etats-Unis Joe Manchin, le démocrate qui bloque Biden
Conservateur dans l’âme, le sénateur de Virginie-Occidentale empêche la mise en oeuvre des réformes voulues par le président.
Dans les couloirs du Congrès, ses collègues l’appellent « Votre altesse ». A 73 ans, Joe Manchin est devenu l’un des hommes politiques les plus puissants de Washington, car toutes les grandes réformes de Joe Biden dépendent de son bon vouloir. Les démocrates détiennent une si faible majorité au Sénat qu’ils ne peuvent se permettre la moindre défection. Ce dont profite le sénateur de Virginie-Occidentale, l’un des membres les plus conservateurs du parti de Joe Biden, pour imposer ses vues à l’administration. Ce pro-charbon, anti-avortement et antiaccords de Paris sur le climat a annoncé récemment son opposition au projet de réforme du système électoral. Cette loi, pourtant jugée cruciale par son camp pour protéger la démocratie, imposerait des règles nationales sur les procédures de vote, limiterait le redécoupage des circonscriptions et plafonnerait le financement des campagnes.
Le sénateur a justifié son rejet en expliquant dans une tribune que le texte était trop partisan. Son but, répète-t-il partout, est de revenir à un Sénat où les deux camps débattraient de manière civile jusqu’à trouver un compromis. « On ne peut continuer à se diviser et à s’éloigner les uns des autres. On doit travailler ensemble », a-t-il déclaré sur CNN. Une douce utopie, s’énervent ses collègues. Sous Barack Obama, Joe Manchin n’a pas réussi à trouver un terrain d’entente avec les conservateurs sur l’immigration et le port d’arme. Et le Parti Républicain est plus que jamais décidé à faire de l’obstruction systématique pour torpiller le programme de Joe Biden. Qu’importe ! Joe Manchin le clame sur tous les tons : il ne votera en faveur d’une réforme que si elle a le soutien des Républicains. Naïveté ? Calcul politique pour plaire à ses électeurs plus modérés que la moyenne des démocrates ? Quoi qu’il en soit, ses rêves de collégialité menacent de faire capoter les grands projets de Joe Biden, de l’immigration au climat en passant par la modernisation des infrastructures et, donc, la refonte du système électoral.
Ces derniers jours, il a proposé une version corrigée du texte en incluant diverses concessions pour ses amis conservateurs. Sans surprise, les Républicains l’ont aussitôt rejetée. Il y aurait bien une solution pour passer outre leur veto, ce serait d’abolir le filibuster, une tactique d’obstruction qui retarde indéfiniment l’adoption d’un projet de loi tant que l’on n’a pas une super majorité de 60 voix au Sénat (composé de 100 élus). Nombre de démocrates poussent à la suppression de cette pratique dans l’espoir de faire voter les réformes à une majorité simple. Une fois encore, Joe Manchin bloque tout. Il refuse catégoriquement d’« affaiblir ou [d’]éliminer » le filibuster par peur de nuire au fonctionnement du Sénat.
Pour les démocrates, de plus en plus exaspérés, c’est un comble que la Virginie-Occidentale – l’un des Etats les plus petits, les plus Blancs et les plus pauvres du pays – dicte la politique américaine. « Par son obstruction, Joe Manchin fait le boulot du Parti républicain, » s’insurge Jamaal Bowman, représentant de New York. Sa collègue Alexandria Ocasio-Cortez, figure de l’aile gauche du parti, se moque, elle, de cette « idée romantique » d’un Sénat collégial, qui « simplement n’existe plus ». Même le président Biden a lancé une pique à l’encontre de Joe Manchin et de Kyrsten Sinema, élue de l’Arizona, « deux membres du Sénat qui votent davantage avec mes amis républicains ».
Mais il sait qu’il n’a guère de moyen de pression. Joe Manchin ne risque pas de pâtir de son opposition aux réformes ambitieuses de Biden dans cet Etat ultraconservateur, où Donald Trump l’a emporté avec 39 points d’avance. « Le parti a besoin de lui et de son siège plus qu’il n’a besoin du parti », résume Hans Noel, professeur de sciences politiques à l’université de Georgetown. Manchin est à la fois une épine et « un cadeau pour le Parti démocrate », poursuit-il. Car, sans lui, la Virginie-Occidentale aurait sûrement élu un sénateur républicain et aurait ainsi privé les démocrates de la majorité au Sénat. Pour l’instant, la consigne des hiérarques du parti est d’éviter de l’attaquer trop violemment. Histoire de ne pas le braquer ou, pis, de l’inciter à passer dans l’opposition. C’est arrivé en 2001 – dans l’autre sens. Jim Jeffords, qui était sénateur républicain du Vermont, avait abandonné son parti et fait basculer le Sénat dans le camp démocrate.