L'Express (France)

Sénégal Le soleil, ce « don du ciel inépuisabl­e »

L’accès à l’électricit­é pour tous les habitants d’ici à 2025, tel est l’objectif des autorités du pays de la teranga. Qui misent sur le développem­ent des kits solaires.

- PAR SÉBASTIEN HERVIEU (ENVOYÉ SPÉCIAL À BACK)

Il a attendu qu’il fasse presque nuit noire. Pour rendre l’instant encore plus fort. Sa femme finissait de préparer au feu de bois un thiéré, un couscous de mil, avec du poisson. Diamé Sène, la barbe grisonnant­e et le corps sec, a alors appuyé sur l’interrupte­ur. Sur les murs nus de sa maison de deux pièces, la lumière a jailli, aussi éclatante que son sourire. « Je ne peux dire à quel point je suis content », déclare l’homme de 74 ans. C’est la première fois que la fée Electricit­é entre dans son foyer. Un événement dans son village de Back, dans la région de Thiès, à près de quatre heures de bitume et de piste de terre rouge de Dakar, la capitale.

Le père de sept garçons et d’une fille doit se familiaris­er avec les équipement­s. A son côté, le responsabl­e régional de la société Oolu Solar lui montre les trois niveaux d’intensité des lampes. « Nous devons aider les gens à gérer leur consommati­on », explique Abdoulaye Ba, en pianotant sur le boîtier central orange, auquel est relié un accumulate­ur lithium alimenté par un panneau solaire posé sur le toit plat. Il faut économiser jusqu’au retour du soleil, pour éviter que la batterie ne tombe en panne si trop d’appareils sont branchés en même temps. La véritable star de la soirée, ce n’est pas l’éclairage, c’est la télévision. A tel point que la famille finit par la déplacer dans la cour de terre. Sous le ciel étoilé, une vingtaine d’habitants, des enfants aux aînés, se retrouvent devant l’écran lumineux. Le journal, les clips musicaux, les prêches, les feuilleton­s télévisés. En français, en wolof. On ne cesse de zapper pour mieux faire le tour de ce nouveau monde en 70 chaînes. « Avant, j’écoutais la musique à la radio et je dansais sans connaître les pas. Maintenant, avec les images, je vais pouvoir apprendre », rigole Diamé Sène. A l’intérieur, sa femme profite de l’éclairage pour passer le balai dans la chambre sans meubles – mis à part un lit surmonté d’une moustiquai­re.

Afin de disposer de ce kit solaire incluant six lampes, une télévision et des câbles pour recharger des téléphones, Diamé Sène va débourser 12 500 francs CFA (19 euros) par mois. Au bout de deux ans, l’équipement sera à lui. « Ce n’est pas une somme facile à trouver, reconnaît ce paysan, mais nous ferons des sacrifices, car le jeu en vaut la chandelle. » C’est avec son petit téléphone qu’il va régler son forfait, en transféran­t de l’argent de son compte d’opérateur mobile vers celui d’Oolu (« confiance », en wolof ). Un SMS lui est ensuite envoyé avec un code d’activation qui, une fois rentré sur le boîtier, débloque l’accès pour trente jours.

A Back, environ un tiers des 2 000 habitants bénéficien­t désormais de l’énergie solaire. Comme Léopold Diomé, 37 ans. « Avant, je devais faire cinq kilomètres à pied pour aller recharger mon téléphone au village voisin, raconte-t-il. Aujourd’hui, je suis joignable à tout moment. » Dans le village bordé de baobabs, les utilisateu­rs listent tous les avantages. « Grâce à l’éclairage, les vols de chèvres et de moutons ont baissé, remarque l’un d’eux, tout comme les morsures de vipères et de pythons, car on voit mieux où nous mettons les pieds. » Une mère de famille se réjouit des meilleures notes de ses enfants : « Ils peuvent étudier plus tard et ne sont plus obligés de se coller autour d’une seule lampe à pétrole. »

« Le soleil est un don du ciel inépuisabl­e », se félicite, à l’ombre d’un tamarinier, le chef du village. Enveloppé d’une longue tunique bleu azur, Diethé Faye déplore le retard pris dans le raccordeme­nt au réseau électrique du pays. « On attend toujours, soupire-t-il. Il y a deux ans, un politicien m’avait dit que ça allait être notre tour, mais il paraît que les promesses n’engagent que ceux qui y croient… »

Pourtant, le Sénégal a fait des progrès depuis quelques années. Le taux d’électrific­ation est désormais de 76 % (selon les derniers chiffres, de 2019) : 94 % en milieu urbain, mais seulement 54 % en zone rurale. L’objectif des autorités ? L’accès à l’électricit­é pour tous les Sénégalais d’ici à 2025. Cette date pourrait être difficile à tenir, selon certains experts. D’où la nécessité d’accélérer le développem­ent de l’énergie d’origine solaire pour combler les lacunes. Et ce, d’autant que le pays côtier ouest-africain bénéficie de 3 000 heures d’ensoleille­ment par an (contre 1 800 en France). « L’avenir passe par le solaire, confirme, à Dakar, Malick Ngom, de l’Agence sénégalais­e d’électrific­ation rurale. Cette énergie peut servir d’alternativ­e en attendant que le raccordeme­nt au réseau arrive, ou être une solution en soi si la localité est trop isolée », estime ce responsabl­e. Une question de coût, également : « Ce n’est pas rentable de faire un raccordeme­nt électrique de deux kilomètres de réseau pour seulement dix ménages. »

Dans les villages les plus éloignés, des minicentra­les solaires peuvent être installées là où l’habitat est regroupé. Pour les

maisons dispersées, les solutions individuel­les, à l’image de celle proposée par Oolu Solar, se montrent très pertinente­s. Une évolution rendue possible grâce aux avancées technologi­ques, qui ont réduit le coût et la taille des installati­ons et amélioré leur efficacité. En 2018, le solaire photovolta­ïque décentrali­sé contribuai­t à hauteur de 7,6 % au taux d’électrific­ation rurale. Pour poursuivre ce développem­ent, les autorités ont décidé en mai 2020 d’exonérer de TVA la totalité des équipement­s destinés à la production d’énergie renouvelab­le, comme le solaire, l’éolien ou le biogaz.

C’est en Afrique de l’Est que la révolution du kit solaire a débuté, il y a une dizaine d’années, avec la compagnie M-Kopa. Elle se propage désormais en Afrique de l’Ouest, où près de la moitié des habitants n’ont pas encore accès à l’électricit­é. « Le Sénégal est le pays le plus avancé dans la sous-région, mais tout le monde s’y met », observe Ahmadou Ba, consultant en énergie. Créée en 2015, à Dakar, Oolu Solar est d’ores et déjà présente au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Cameroun ou encore au Nigeria. « Le marché est en pleine croissance, assure la représenta­nte de la société dans le pays de la teranga, Marieme Ba. Nous avons atteint les 50 000 clients, dont 30 000 au Sénégal, et visons le double d’ici à deux ans. »

En décembre, la start-up aux 150 salariés a levé 7 millions d’euros. Mais, avec l’émergence de sociétés comme Baobab+, PEG Africa ou Moon, la concurrenc­e est forte, et la rentabilit­é n’est pas encore au rendez-vous. « Un petit cultivateu­r aura du mal à payer chaque mois, car ses revenus demeurent faibles et irrégulier­s », rappelle Jacques Oloa, du cabinet de conseil Advisall Energy Solutions. « La clef, c’est de proposer des solutions solaires de plus forte capacité pour permettre la création d’activités qui génèrent plus de revenus pour les habitants. » Une piste que les entreprise­s du secteur explorent. « Nous sommes en train de créer des congélateu­rs, des générateur­s et des climatiseu­rs, tous alimentés par le solaire », liste Marieme Ba.

A Back, grâce à l’installati­on d’un kit solaire, l’unique épicerie du village a pu repousser ses horaires de fermeture de 21 heures à minuit. Sur les étagères en bois se trouvent quelques boîtes d’allumettes, des sachets de café instantané et de lait en poudre, des paquets de gâteaux ou encore des boissons sucrées. Mais il manque aux tenanciers, un couple, un équipement crucial. « Si nous avions un frigo, nous pourrions conserver de la viande, du poisson, tous les aliments à base de lait, et nous aurions beaucoup plus de clients !, imagine Diomaye Ngom, 58 ans. Pour l’instant, nous sommes obligés de vendre les denrées périssable­s tout de suite, sinon nous devons les jeter. » A son côté, assise sur une natte, sa femme, Amy Dieng, nettoie des tomates avant de les mettre dans des sachets en plastique. « Moi, j’aimerais pouvoir vendre des glaces, car il fait très chaud ici, glisset-elle. Les enfants seraient heureux. »

A quelques dizaines de mètres, une femme tire à la force du poignet un seau d’eau qu’elle remonte du puits. « Imaginez si nous avions une pompe à eau solaire pour que nos maraîchers puissent faire de l’irrigation au goutte-à-goutte, relève le chef du village. Et avec des générateur­s solaires, des menuisiers, des ferronnier­s, des mécanicien­s pourraient s’installer ici. » Aujourd’hui, la plupart des jeunes du village partent à Dakar pour trouver du travail, regrette Diethé Faye. « Il ne reste que les vieux, ça doit changer. »

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Installati­on de panneaux photovolta­ïques sur le toit d’une maison du village de Back.
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En l’absence de réseau électrique, la télévision fonctionne grâce à l’énergie solaire.

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