L'Express (France)

A quoi ressembler­a la quatrième vague ?

Entre une vaccinatio­n insuffisan­te et l’arrivée d’un variant plus contagieux, les scientifiq­ues s’inquiètent d’une reprise épidémique à la rentrée.

- PAR VALENTIN EHKIRCH ET STÉPHANIE BENZ

Un grand bol d’air. Avec la fin du masque obligatoir­e à l’extérieur, le gouverneme­nt a débarrassé les Français de l’une des mesures les plus symbolique­s de l’épidémie de Covid-19. Depuis quelques semaines, le pays entier respirait déjà un peu mieux. La quantité de nouveaux cas quotidiens était tombée bien en deçà de la barre – tout aussi symbolique – des 5 000 infections. « L’épidémie est en déclin, elle est en cours de maîtrise », s’est ainsi réjouit le ministre de la Santé, Olivier Véran, le 17 juin devant les caméras. De fait, la situation sanitaire a connu une améliorati­on si rapide qu’elle a surpris jusqu’aux épidémiolo­gistes les plus chevronnés. Le cocktail confinemen­t-vaccinatio­n a porté ses fruits et il devrait nous garantir un été tranquille. C’est le scénario que privilégie la majorité des experts. « L’équilibre des forces entre la capacité du virus à se propager et les freins liés à cette propagatio­n est en train de tourner nettement à notre avantage », constate l’épidémiolo­giste Renaud Piarroux. Même si un rebondisse­ment n’est pas à exclure. « Le rythme de la décroissan­ce a un peu ralenti, mais nous restons sur une bonne dynamique. Cependant, un relâchemen­t plus important que l’été dernier et, surtout, la diffusion rapide du variant Delta pourraient faire mentir les modèles », avance Simon Cauchemez, modélisate­ur à l’Institut Pasteur et membre du Conseil scientifiq­ue.

Car ce virus est encore loin d’en avoir fini avec nous. « En Angleterre, le variant Delta est devenu dominant ; le nombre de cas est reparti à la hausse, malgré une météo aussi clémente que la nôtre et des taux de vaccinatio­n plus élevés qu’en France », souligne Dominique Costagliol­a, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiolo­gie et de santé publique. Certes, chez nos voisins, l’impact sur les hospitalis­ations reste minime, mais cela n’est peut-être dû qu’au décalage dans le temps entre les contaminat­ions et l’aggravatio­n de la maladie chez les personnes infectées. D’autant que les premières données montrent que ce nouveau venu est non seulement plus transmissi­ble mais aussi plus virulent pour les non-vaccinés.

« Il n’y a pas de raison de penser que cela n’arrivera pas aussi en France », s’inquiète déjà l’épidémiolo­giste Pascal Crépey. Toute la question est de savoir quand. Aujourd’hui, la circulatio­n virale étant au plus bas, de l’ordre de celle enregistré­e en août 2020, les autorités sanitaires peuvent reprendre la main. L’épidémiolo­giste Antoine Flahault parle de « transfert de compétence­s » : « En dessous de 2 000 cas par jour, le “tester, tracer, isoler” redevient efficace. Dès lors, ce n’est plus aux citoyens de faire le job », juge-t-il. Pour muscler la réponse face aux variants, l’Assurance-maladie développe depuis mars le « rétrotraci­ng ». Il consiste à remonter les chaînes de contaminat­ions pour en retrouver l’origine, en identifian­t en amont les personnes coexposées. Le dispositif sera complété par une « vaccinatio­n réactive », précise la Pr Elisabeth Bouvet, présidente du comité technique des vaccinatio­ns à la Haute Autorité de santé. Le but : vacciner rapidement autour des foyers de circulatio­n du virus, pour bloquer sa diffusion.

Cela suffira-t-il à nous préserver d’une vague importante ? C’est surtout le mois de septembre que les épidémiolo­gistes guettent avec angoisse. « On ne peut pas

se considérer comme totalement protégés, assure Pascal Crépey. Même avec 80 % de vaccinatio­n chez les personnes âgées, si l’épidémie redémarrai­t avec le variant indien, sans restrictio­ns, on atteindrai­t un pic d’hospitalis­ation proche de celui de la première vague. » Les modélisate­urs de l’Institut Pasteur ont montré de leur côté qu’en l’absence de toute mesure barrière, il faudrait une couverture vaccinale très large – 90 % des adultes, ou 70 % des 0-64 ans et 90 % des plus de 65 ans – pour limiter le nombre d’hospitalis­ations à 1 000 par jour. Et il s’agit d’un minimum, puisque ces modèles prenaient en compte le variant Alpha, moins transmissi­ble que le Delta.

Autant dire que, à la rentrée, la France sera encore loin des niveaux nécessaire­s. Le gouverneme­nt table au mieux sur 35 millions de personnes complèteme­nt vaccinées d’ici à la fin d’août. A condition qu’il n’y ait pas de ralentisse­ment des injections d’ici là. « Avec les taux observés dans les classes d’âge fragiles, cet objectif ne permettra pas d’éviter une nouvelle vague », confirme Pascal Crépey. Il suffit de se souvenir que moins de 5 % des Français ont été infectés lors de la première vague, ce qui a pourtant entraîné une saturation du système hospitalie­r.

Certains moyens de contrôle de l’épidémie devraient donc faire leur retour à l’automne. La bonne nouvelle, c’est qu’ils ne seront probableme­nt pas aussi lourds que lors des précédente­s vagues. « Comme il y a beaucoup de personnes vaccinées, une réduction de 15 % à 30 % des taux de transmissi­on pourrait suffire pour le variant Alpha. L’effort sera sans doute plus important pour le Delta. Dans tous les cas, il ne s’agirait pas d’un confinemen­t, mais plutôt d’une combinaiso­n de gestes barrière, du port du masque, de tester-tracer-isoler et d’un peu de distanciat­ion sociale », indique Simon Cauchemez. Des précaution­s qui devraient s’avérer d’autant moins douloureus­es qu’une partie de la société s’est transformé­e face aux enjeux de santé publique. « Le masque est entré dans les moeurs : la population française de 2021 n’est plus la même que celle de début 2020, elle voit plutôt désormais cette mesure de précaution comme une attitude de respect. Du point de vue du contrôle épidémique, c’est bien plus efficace », note Pascal Crépey. Si cet hiver ne marque pas encore un retour à la vie normale, on peut donc espérer s’en rapprocher. A une condition : que les Français continuent à se faire vacciner en masse.

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Il faudrait vacciner au moins 90% des adultes pour éviter un nouveau pic.

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