A quoi ressemblera la quatrième vague ?
Entre une vaccination insuffisante et l’arrivée d’un variant plus contagieux, les scientifiques s’inquiètent d’une reprise épidémique à la rentrée.
Un grand bol d’air. Avec la fin du masque obligatoire à l’extérieur, le gouvernement a débarrassé les Français de l’une des mesures les plus symboliques de l’épidémie de Covid-19. Depuis quelques semaines, le pays entier respirait déjà un peu mieux. La quantité de nouveaux cas quotidiens était tombée bien en deçà de la barre – tout aussi symbolique – des 5 000 infections. « L’épidémie est en déclin, elle est en cours de maîtrise », s’est ainsi réjouit le ministre de la Santé, Olivier Véran, le 17 juin devant les caméras. De fait, la situation sanitaire a connu une amélioration si rapide qu’elle a surpris jusqu’aux épidémiologistes les plus chevronnés. Le cocktail confinement-vaccination a porté ses fruits et il devrait nous garantir un été tranquille. C’est le scénario que privilégie la majorité des experts. « L’équilibre des forces entre la capacité du virus à se propager et les freins liés à cette propagation est en train de tourner nettement à notre avantage », constate l’épidémiologiste Renaud Piarroux. Même si un rebondissement n’est pas à exclure. « Le rythme de la décroissance a un peu ralenti, mais nous restons sur une bonne dynamique. Cependant, un relâchement plus important que l’été dernier et, surtout, la diffusion rapide du variant Delta pourraient faire mentir les modèles », avance Simon Cauchemez, modélisateur à l’Institut Pasteur et membre du Conseil scientifique.
Car ce virus est encore loin d’en avoir fini avec nous. « En Angleterre, le variant Delta est devenu dominant ; le nombre de cas est reparti à la hausse, malgré une météo aussi clémente que la nôtre et des taux de vaccination plus élevés qu’en France », souligne Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique. Certes, chez nos voisins, l’impact sur les hospitalisations reste minime, mais cela n’est peut-être dû qu’au décalage dans le temps entre les contaminations et l’aggravation de la maladie chez les personnes infectées. D’autant que les premières données montrent que ce nouveau venu est non seulement plus transmissible mais aussi plus virulent pour les non-vaccinés.
« Il n’y a pas de raison de penser que cela n’arrivera pas aussi en France », s’inquiète déjà l’épidémiologiste Pascal Crépey. Toute la question est de savoir quand. Aujourd’hui, la circulation virale étant au plus bas, de l’ordre de celle enregistrée en août 2020, les autorités sanitaires peuvent reprendre la main. L’épidémiologiste Antoine Flahault parle de « transfert de compétences » : « En dessous de 2 000 cas par jour, le “tester, tracer, isoler” redevient efficace. Dès lors, ce n’est plus aux citoyens de faire le job », juge-t-il. Pour muscler la réponse face aux variants, l’Assurance-maladie développe depuis mars le « rétrotracing ». Il consiste à remonter les chaînes de contaminations pour en retrouver l’origine, en identifiant en amont les personnes coexposées. Le dispositif sera complété par une « vaccination réactive », précise la Pr Elisabeth Bouvet, présidente du comité technique des vaccinations à la Haute Autorité de santé. Le but : vacciner rapidement autour des foyers de circulation du virus, pour bloquer sa diffusion.
Cela suffira-t-il à nous préserver d’une vague importante ? C’est surtout le mois de septembre que les épidémiologistes guettent avec angoisse. « On ne peut pas
se considérer comme totalement protégés, assure Pascal Crépey. Même avec 80 % de vaccination chez les personnes âgées, si l’épidémie redémarrait avec le variant indien, sans restrictions, on atteindrait un pic d’hospitalisation proche de celui de la première vague. » Les modélisateurs de l’Institut Pasteur ont montré de leur côté qu’en l’absence de toute mesure barrière, il faudrait une couverture vaccinale très large – 90 % des adultes, ou 70 % des 0-64 ans et 90 % des plus de 65 ans – pour limiter le nombre d’hospitalisations à 1 000 par jour. Et il s’agit d’un minimum, puisque ces modèles prenaient en compte le variant Alpha, moins transmissible que le Delta.
Autant dire que, à la rentrée, la France sera encore loin des niveaux nécessaires. Le gouvernement table au mieux sur 35 millions de personnes complètement vaccinées d’ici à la fin d’août. A condition qu’il n’y ait pas de ralentissement des injections d’ici là. « Avec les taux observés dans les classes d’âge fragiles, cet objectif ne permettra pas d’éviter une nouvelle vague », confirme Pascal Crépey. Il suffit de se souvenir que moins de 5 % des Français ont été infectés lors de la première vague, ce qui a pourtant entraîné une saturation du système hospitalier.
Certains moyens de contrôle de l’épidémie devraient donc faire leur retour à l’automne. La bonne nouvelle, c’est qu’ils ne seront probablement pas aussi lourds que lors des précédentes vagues. « Comme il y a beaucoup de personnes vaccinées, une réduction de 15 % à 30 % des taux de transmission pourrait suffire pour le variant Alpha. L’effort sera sans doute plus important pour le Delta. Dans tous les cas, il ne s’agirait pas d’un confinement, mais plutôt d’une combinaison de gestes barrière, du port du masque, de tester-tracer-isoler et d’un peu de distanciation sociale », indique Simon Cauchemez. Des précautions qui devraient s’avérer d’autant moins douloureuses qu’une partie de la société s’est transformée face aux enjeux de santé publique. « Le masque est entré dans les moeurs : la population française de 2021 n’est plus la même que celle de début 2020, elle voit plutôt désormais cette mesure de précaution comme une attitude de respect. Du point de vue du contrôle épidémique, c’est bien plus efficace », note Pascal Crépey. Si cet hiver ne marque pas encore un retour à la vie normale, on peut donc espérer s’en rapprocher. A une condition : que les Français continuent à se faire vacciner en masse.